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Problèmes cardiaques, prostatiques et spirituels.

5 Avr

Tadaaaaaam…

Voilà donc le nouvel article que tout le monde me demande! Bon, par « tout le monde », comprenez 3-4 personnes, mais je trouve chouette l’idée de la foule en délire, c’est mon côté « (potentielle) star de rock » qui ressort.

Depuis 15 minutes que je regarde ma page, il y a bien 20 milliards d’idées d’articles qui m’ont traversé l’esprit (vous aurez remarqué l’intensité du trafic, le périph’ parisien peut aller se rhabiller).

Côté catho, le carême, la semaine sainte, Pâques et la dernière homélie de mon curé préféré fourniraient de quoi remplir ce blog jusqu’à… longtemps. Coté hosto, c’est encore pire: partiels, co-externes, stage, patients, hôpital, ambiance, café, ascenseur, sans oublier… plein de trucs (oubliés, donc).

Et alors, allez savoir pourquoi, mais je ne suis pas très forte pour faire des choix. Vous le voyez, le billet bordel qui se profile à l’horizon ou pas ? Bon, évitons, et pour cela retournons aux fondamentaux. Je suis une catho à l’hosto, ok. Qu’est ce que ça veut dire ?

Ben, par exemple…

-aujourd’hui, Jeudi Saint. En termes de catho-importance, sur une échelle de 0 à 10, je dirais 9. La première messe, la première communion, l’Institution de l’Eucharistie et celle de la prêtrise… On ne fait pas les choses à moitié chez les cathos. Du coup, j’avais prévu de sortir de l’hôpital à 17h30 (c’est honnête) pour aller tranquille à la messe de 18h30, puis me faire un bon dîner en vue du bol de riz de demain et dormir tôt.

17h25, j’étais dans le timing.

17h26, l’infirmière vient me voir : M. Vive-Les-Imprévus a une douleur thoracique et euh… il respire bizarre.

17h27, je cours.

17h41, le tracé de l’ECG ne laisse aucun doute : M. Vive-Les-Imprévus s’offre un infarctus.

18h25, je sors de l’hôpital… Ce sera donc la messe de 20h.

-demain, Vendredi Saint, 15h. Jésus meurt sur la croix. Oh, comme j’aimerais passer ce moment dans une chapelle, plongée dans ce mystère improbable d’un Dieu qui meurt homme pour que les hommes renaissent à Dieu ! Mais là, tel que ça se profile à l’horizon, je serai en train de faire le TR de M. Prostate-A-Explorer. Moins glamour.

-les samedis de boulot. Mon interne compatissant me dit de prendre ceux où c’est lui qui est là, comme ça je ne viens pas et il ne dira rien au chef. Ça parait être un bon plan, non ? Simplement, mentir comme ça pendant des mois, ça sent le roussi pour la prochaine confession.

Parfois c’est donc difficile d’être une catho à l’hosto, de concilier ces deux parties de ma vie, sans tomber dans la si facile opposition: je suis catho, MAIS je suis à l’hosto. Je ne pourrais donc pas « bien vivre » mon Vendredi Saint, avec la concentration et la dévotion et le recueillement et tout et tout.

Et en fait, non. Stop, machine arrière.

Je suis catho ET je suis à l’hosto. Les deux parties ensemble, pas opposées mais enrichies mutuellement. Ça tombe sous le sens, mais c’est bon de se le redire de temps en temps.

Demain, quand Jésus sera étendu sur la Croix, j’aurai (peut-être) mon doigt dans un rectum. Et (sûrement) mon cœur au Golgotha.  Je suis une catho à l’hosto, quoi.

L’hôpital, ce lieu de perdition.

16 Fév

L’hôpital dans lequel je travaille est un grand bâtiment. Avec une aile nord, une aile ouest, et même un endroit que l’on appelle « les nouveaux locaux ». Pour une raison assez mystérieuse, du reste, les travaux remontant tout de même à une dizaine d’année. La Tradition orale, sans doute. Enfin bref, toujours est-il qu’en digne fille d’Ève…je ne me lasse pas de m’y perdre. Le gène de l’orientation doit se trouver sur le chromosome Y, j’vois qu’ça.

Sérieusement, les points cardinaux, je n’ai jamais bien compris comment on pouvait se repérer avec. Si je vous dis nord, là tout de suite, vous sauriez me le montrer ? Alors je sais, je connais, le coup du soleil, des églises orientées à l’est, et même celui de la mousse sur les arbres (on ne me la fait pas à moi), mais impossible, je n’y arrive pas. C’est physiologique. J’ai cru un instant être sauvée par l’application boussole (je suis un peu une geek en fait) mais autant moi, je ne trouve pas le Nord, autant elle, elle en trouve un peu trop.

Bref, lorsque je suis envoyée en mission par mes internes et chefs, je me perds facilement. Et comme je suis un agent secret incroyable une externe esclave, ça arrive souvent. Déposer les bons de radios, aller chercher les clichés, négocier avec la secrétaire pour avoir le compte-rendu, rendre visite aux potes externes aux anciens patients, demander une consultation à un spécialiste, prévenir les responsables de la réunion que mon chef arrivera à la bourre, aller récupérer une batterie pour ce fucking bladderscan, choper le chirurgien pour lui demander un avis, faire mon plus charmant sourire (et il l’est, ’tention) au radiologue de garde, réapprovisionner le stock de Dujarrier… C’est beau, le noble Art de la Médecine, hein ?

Tout au début de ma vie hospitalière, j’aimais bien me paumer. Cela me permettait de faire voler un peu partout ma toute nouvelle blouse blanche AU RALENTI (cela va sans dire), et c’était un peu la classe.

Depuis, le temps a passé, les patients se sont accumulés, les feuilles de salaire d’argent de poche sont arrivées. Ma tête a sans doute un peu dégonflée aussi… Le coup de la blouse au ralenti, aujourd’hui, ça me fait bien marrer.

Ce qui me fait moins rire, c’est donc très logiquement mes escapades répétées dans tous les recoins de l’hôpital. Certes, j’y découvre des trucs fort intéressants : la chapelle, le service du personnel, le bureau du directeur, la chambre funéraire… bon à savoir. Mais j’y perds quand même un temps fou. Et puis, dans un bâtiment ou des patients trainent partout, porter une blouse blanche, ça peut-être dangereux : avis médicaux, renseignements, tentative de drague (femme médecin, ça vous fait rêver, et ce n’est pas qu’une rumeur).

(Un jour, un monsieur a carrément profité de l’occasion pour me faire un AVC. Toute seule dans le couloir, avec un papy qui soudainement présente une déviation de la bouche, un clignotement de la paupière, une asymétrie faciale, et une incapacité à parler. J’étais en deuxième année, juste assez pour savoir que c’était grave. Heureusement, une infirmière vadrouillait dans le couloir d’à coté. )

Parfois, on me demande même où est la sortie. Poker face.

L’autre jour, quand la secrétaire de neuro (secrétaire que j’avais déjà eu bien du mal à trouver) m’a dit d’aller voir le Dr Babinski « dans l’aile ouest des nouveaux locaux » (combo!), elle a du penser que ce serait mieux d’en informer toute la populace rassemblée autour du secrétariat, usant donc de sa voix de stentor.

(En vrai, je sais qu’elle mène un long travail de déstabilisation des externes, du fait de son tragique complexe d’infériorité. Sale garce.)

Bon. Blouse blanche, autorité, Olympe, tout ça. Je ne vais pas casser le mythe en ayant l’air hésitante, égarée, voire effrayée à l’idée d’errer des heures avant d’arriver chez le Dr Babinski. J’établis donc in petto un plan en trois étapes, c’est mon côté cartésien.

Étape 1 : je souris. Je suis une gentille fille, catholique tendance bisounours, et en plus mes futures rides seront plus jolies. Et puis quoi, je gère la situation. Aile ouest des nouveaux locaux, c’est dans mes cordes. Ein kinderspiel für mich (7 ans d’allemand, tout de même). Il suffit de s’en convaincre.

Étape 2 : je fuis je pars d’un pas assuré, et je chope le premier ascenseur venu pour quitter cet étage maudit. Je profite de l’attente pour regarder le scan de ma patiente, et me rachète ainsi une contenance à peu de frais.

Étape 3 : j‘appuie sur n’importe quel bouton dudit ascenseur. Tiens, par exemple, le rez-de-chaussée. Bonne stratégie, c’est bien le rez-de-chaussée, c’est le seul étage avec des panneaux partout.

A cet instant précis de l’histoire, je me retrouve donc perdue dans un ascenseur, avec une confiance en moi frôlant le zéro. Aussi proche de trouver le Dr Babinski que de réussir à retenir le spectre des antibiotiques.  Si jeune et déjà brisée par le monde hospitalier… Pour un peu, je pleurerais.

Premier étage, l’ascenseur marque une pause, un patient rentre en trainant sa perf’. Me regarde. Me sourit (suis pas sûre de l’efficacité antirides, finalement). Et me salue d’un timide « bonjour DOCTEUR ». Pour le coup, c’est moi qui souris, ma fierté retrouvée. Il m’en faut peu, je sais.

Cet homme pouilleux en pyjama d’hosto, le teint trop jaune et le nez trop rouge pour ne pas être alcoolique, qui sortait fumer sa misérable clope, attaché au bout de sa perf’… rigolez pas, mais je crois l’avoir reconnu : c’était mon ange-gardien. J’vois qu’ça.

Histoires de vie en soins palliatifs

2 Fév

Récemment, le thème de l’euthanasie a refait surface. Je ne suis pas une grande philosophe, je ne suis pas très à l’aise dans un débat, je laisse cela à d’autres. En revanche, je suis externe en médecine, et je ressors d’un stage en soins palliatifs, justement. Alors, je vais vous parler de certains de mes patients.

Petit rappel de la loi Leonetti de 2005 pour commencer. Cette loi constitue un item de l’internat, et pour chaque item, nous avons une liste de PMZ (Pas Mis Zéro), dont l’oubli, comme leur nom l’indique, entraine une bulle au dossier entier. (Oui, les médecins sont très pragmatiques quand ils inventent des expressions).  Ce sont donc les points majeurs de cette loi :
-interdiction de l’euthanasie;
-interdiction de l’acharnement thérapeutique l’obstination déraisonnable;
-obligation de traçabilité des décisions médicales dans le dossier du patient;
-respect des volontés du patient, soit conscient, soit par directives anticipées, soit par personne de confiance;
-l’arrêt des soins curatifs ne doit pas être un abandon du patient.

Maintenant, mon expérience sur le terrain.

Nous avons eu UNE demande d’euthanasie, en deux mois, non pas du patient, mais de sa fille. Mr V. s’était dégradé très rapidement dans la nuit, et nous avions beaucoup de mal à soulager sa  douleur. Ce n’était plus qu’une question d’heures, sa fille le savait, et souhaitait abréger ses souffrances, à lui, et aussi à elle. Mais est-ce la qualité de la vie qui en fait sa dignité ?
En tout cas, le médecin a été très clair, jamais l’équipe médicale ne pratiquerait cet acte. En revanche, la psychologue du service a passé l’après-midi avec cette femme, cherchant à répondre à la souffrance exprimée par cette demande.

Autre patient, autre situation : Mr B. était déjà dans le service lorsque j’y suis arrivée, il y vivait une fin de vie très longue, mais ses douleurs et ses angoisses étaient vraiment soulagées. Puis, à la toute fin, il devint inconscient et souffrit d’insuffisance respiratoire. En bonne externe, j’allai chercher l’appareil pour prendre la saturation, pour éventuellement lui mettre de l’oxygène en fonction du résultat. Sauf qu’en fait, non. La médecin m’a demandé si le monsieur avait l’air gêné, il ne l’était pas. Donc non seulement on ne lui met pas d’oxygène, mais en plus on ne prend pas non plus sa satu’. Dur à accepter, je ne vous le cache pas.  « L’obstination déraisonnable » commence ici, et il faut être bien au clair dans sa tête de médecin pour ne pas s’y prêter.
Ce n’est que lorsque nous avons vu le patient gêné, inconfortable, « cherchant l’air » pour respirer que nous  lui avons mis des lunettes d’oxygène pour l’aider. Et il a fallu expliquer pendant 45 minutes à sa fille que ce n’était pas de l’acharnement thérapeutique mais véritablement un soin de confort, pour éviter  à son père cette sensation inconfortable de manquer d’air.
Beaucoup de proches expriment cette peur, et nous demandent d’expliquer le pourquoi de tel traitement, le but de tel autre… J’ai lu l’autre jour cet article d’Henry le Barde qui interviewe une médecin gériatre (ce qui lui donnerait un petit côté journaliste amateur si la médecin n’était pas tout simplement…sa femme). Celle-ci pointe du doigt le manque de communication autour des soins pall, qui crée une « fausse alternative entre acharnement thérapeutique et euthanasie ». Car justement, les soins palliatifs se situent entre les deux. Accompagner les personnes en fin de vie, sans retenir de force ni écourter cette dernière.

Et dans « accompagner une fin de vie », il y a « vie ». Ça parait évident, et pourtant, c’est important. Nos patients vivent encore, et parfois cela réserve bien des surprises. C’est vrai, quoi : entendre une patiente rire avec sa famille la veille de son décès, ça a quelque chose d’indécent !
Ou pire encore : Mr V., arrivé extérieurement plus en forme que tout le service réuni, mais avec un bilan biologique…Mon Dieu, j’aurais du faire une copie, c’était collector tellement c’était mauvais. Il en avait pas UN de bon le monsieur, et il le savait, qu’il allait mourir très vite. Et il a fait un truc un peu fou, pas tout seul il est vrai : lui et sa femme ont reçu le sacrement du mariage. Histoire de « régulariser la situation », comme il disait. Dans le service des soins pall’, c’était flex.  Il est tombé dans le coma le lendemain, décédé deux jours après.
Mon chef de service, qui est un homme formidable, nous a confié être toujours ému de voir que ses patients aux portes de la mort faisaient encore des projets. Continuaient de s’accomplir. Vivaient encore, quoi.

Enfin, terminons par une patiente. Cette femme était la mère d’un médecin de l’hôpital. Elle est restée assez longtemps parmi nous, et son fils venait tous les jours, jonglant avec son service situé deux étages plus bas. Il connaissait la maladie de sa mère, il savait comment ça se passerait, il en avait vu des patients atteints du même crabe, il comprenait que désormais on ne pouvait rien faire et que les soins seraient uniquement palliatifs (à l’inverse de curatifs, donc). Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de nous sortir des énormités médicales. De nous demander des traitements qui n’étaient pas du tout adaptés. De ne pas voir l’imminence du décès.  Cet homme, pour qui la mort est le quotidien, se prenait de plein fouet l’approche de celle de sa mère.  Et c’était touchant de le voir se laisser complètement atteindre et bouleverser, loin d’être blasé.

Maintenant, mon stage est terminé, je vous reparlerai sans doute de certains patients, de certains soignants. Mais une chose est sûre, les soins palliatifs sont à développer d’urgence, ils sont notre avenir…à chacun d’entre nous ! Je parle bien sur de services hospitaliers de soins palliatifs, mais aussi et surtout de réseaux de soins, de lits identifiés dans d’autres service, de communication autour des soins palliatifs… C’est une manière de regarder l’Homme qui est magnifique, de lui reconnaitre son humanité dans sa faiblesse, dans son incontinence, dans ses pleurs, dans sa douleur. En deux mois de stage, j’en ai vu des choses dures, des fins de vie difficiles. Je n’ai jamais vu de patients indignes de vivre. Je vous invite donc tous à signer la pétition d’Alliance Vita (je sais, c’est une habitude chez les cathos, toujours une pétition sous la main. Sauf que là, ce n’est pas en tant que catho que je parle, juste en tant qu’humaine). D’ailleurs, regardez, le Conseil de l’Europe est d’accord 😉

Je vais terminer ce billet en recopiant le texte affiché en salle de soin à l’intention de l’équipe médicale, donc.

« Les Soins Palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive et terminale.
Les Soins Palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche.
Les Soins Palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort.
Ils s’efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès et proposent un soutien aux proches en deuil.
Ils s’emploient par leur pratique clinique, leur enseignement et leurs travaux de recherche, à ce que ces principes puissent être appliqués. »

Définition des Soins Palliatifs, Préambule, par la Société Française D’accompagnement et de Soins Palliatifs, 1996

Ces 3 patients qui ont changé ma vie

13 Nov

Dans 15 jours, je vais expérimenter une fois de plus le coté obscur de la vie étudiante : les partiels. Je suis donc en (ré)vision, et prévois beaucoup de choses à faire pour dans 16 jours (très exactement). Mais d’ici là, j’ai besoin parfois de repenser à d’anciens patients pour me motiver à apprendre mes cours…disons… de cardio (au pif). Et comme je suis une fille très pragmatique, je vais faire de ces repensées un billet, histoire de valider la case blog sur mon programme.

3 patients, ceux que je ne veux pas oublier.

-Mme Ch’ti.

1er stage, après le P1, avec les infirmières. Mme Ch’ti est une vieille dame, drôle et sympa.  Mais elle vient d’un milieu social défavorisé et ne comprend pas le concept de la toilette QUOTIDIENNE, l’odeur de ses vêtements s’en ressent, c’est une véritable ode au maroilles. Pour entrer dans sa chambre, il faut donc se préparer à rigoler sans inspirer, exercice difficile si l’en est. Mais j’aime bien y aller, j’ai bossé comme une tarée pour y arriver, tout me parait merveilleux. Et puis, au bout d’une semaine, j’assiste à la visite des médecins. Oups, pardon, des chiiiirurgiens. Exceptionnellement, le chef est présent, jour de grâce.

Il entre dans la chambre (sans frapper), nous entrons tous (en fin d’année scolaire/période de stage, ca donne : chef+interne+3 externes+infirmière+2élèves infirmières+moi. Beaucoup de beau monde pour une petite chambre). Grand sourire bienveillant pour Mme Ch’ti. Regardez tous, c’est moi qui l’ai opéré, c’est mon œuvre. L’interne tire la gueule, personne ne se demande pourquoi.

Et alors, madame, ca va bien depuis l’opération ?

Mme Ch’ti répond, il n’écoute pas du tout, il commente le dossier aux externes.  Tant pis pour lui, seconde question, elle lui rétorque en ch’ti. Il insiste, elle persiste. En vrai ch’ti incompréhensible, comme une vraie langue, quoi. Et c’est là que ca devient croustillant, avec le recul je ne sais même pas comment ça a pu arriver : il a du demander aux infirmières si la patiente parlait français. Une semaine plus tôt, le mec lui a déboité la hanche, scié l’os et foutu une prothèse a la place.  Et il a besoin de demander pour être sur (j’en arrive à avoir des doutes sur mes souvenirs, tellement ça me parait énorme). En tout cas, cette chère madame Ch’ti n’a plus parlé français qu’avec l’infirmière. Le chef s’est donc vu obligé de passer par elle. Comique de situation maximal:

le chef : Martine (c’est l’infirmière), tu peux demander à Mme Ch’ti si elle a mal?

Martine : Mme Ch’ti, avez-vous mal?

Mme Ch’ti (en parfait français, regardant le chef droit dans les yeux) : un peu. Surtout le matin.

L’un de mes fous rires intérieurs les plus difficiles à réprimer.

Et moi qui sortais du P1, auréolée de gloire, couronnée d’étoile la lune est sous tes pas, j’ai compris un truc : même après mes 15 ans de médecine, je n’aurais pas d’excuse pour traiter les gens de haut.

 

-Mr Souffrance.

Fin de la deuxième année. C’est encore un stage infirmier, en soins intensifs cardio cette fois-ci. Mr Souffrance a mal, vous ne vous y attendiez pas, hein. Il  est allongé sur son lit toute la journée, il est intubé, il ne peut pas parler. Tous les jours, nous lui faisons la toilette, nous vérifions la poche d’urine, nous triturons gentiment ses tuyaux. Pour ça, on abaisse les barrières de son lit, puis on les remonte. Basique, classique. A la fin d’un soin, je remonte les barrières, ca coince, je force. Mr Souffrance fait une tête bizarre, tu m’étonnes : je suis en train de lui écrabouiller la cheville. Je ne peux que bredouiller que je suis désolée, je suis à ça (et encore) de pleurer, surtout que l’infirmière m’engueule, et elle a bien raison. Je suis sous le choc : mon incompétence a nuit à mon patient.

Aujourd’hui, lorsque l’appel de la paresse se fait entendre, j’essaye de penser à Mr Souffrance. Et à tous ceux à qui je risque de faire du mal si je ne maitrise pas mon métier. Ca ne marche pas toujours, mais ça aide.

 

-Mr Fumeur.

Fin de la troisième année, on progresse, d’autant plus que je suis avec les médecins maintenant. Service de pneumo, des cancers partout, des décès chaque semaine, et heureusement un interne génial. Qui se fout de ma gueule lorsque je vais à la chapelle de l’hosto après le déjeuner, mais gentiment. Et puis du coup on avait un peu discuté, c’était chouette.

Mais bref, le sujet, c’est Mr Fumeur. Qui a un cancer grave, alcool et tabac ne se payent pas qu’à la caisse du magasin hélas. Il est normalement traité par chimio en ambulatoire, mais pour le moment, il fait une infection pulmonaire aigue, sous antibiotiques etc. Mais ca va mieux, sauf qu’il mange que dalle. Je passe 70% de mon temps à bosser pour lui : examens, interprétations, avis diabéto (il les cumulait faut dire), avis onco-hémato, avis gastro. Nous allons peut être lui percer le ventre pour y mettre un tuyau et l’alimenter, ca va l’aider. Il va aller mieux.

Quand je reviens le lendemain, Mr Fumeur est mort.

Mr Fumeur, c’est le seul patient pour lequel je me suis vraiment révoltée. Bordel, il allait aller mieux ! On lui aurait foutu son tuyau, et il aurait guéri. Mais j’oubliais son cancer.

Mr Fumeur, c’est le patient qui me hante. C’est le premier, le seul patient qui a été difficile de donner à Dieu. Cela fait 10 minutes que je cherche son vrai nom, je l’ai sur le bout de la langue, je ne peux pas croire que je l’ai oublié. Mais peut être que c’est comme ça que ça doit se passer ?

 

Voila, trois patients, trois personnes, trois expériences. Trois leçons personnelles.

Je n’arrivais pas à écrire au passé, je ne sais pas si cela signifie quelque chose, jm’en fous un peu à la limite. D’y avoir pensé, d’en avoir parlé, me donne envie de retourner en stage : dans les livres, j’apprends à traiter les maladies. Il faut aller à l’hosto pour apprendre à soigner un malade.  Avoir un patient en face de soi pour apprendre à être un médecin.