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Un métier à apprendre, un métier pour apprendre

19 Juil

Aujourd’hui, j’ai appris à

-différencier un vertige d’origine centrale ou périphérique,

-conclure à l’origine ORL d’un vertige,

-reconnaitre une péritonite appendiculaire,

-diagnostiquer une pancréatite aiguë (typique, comme dans les livres),

-demander la biologie nécessaire au calcul du score de Ranson de ladite pancréatite aiguë,

-prendre en charge un phlegmon des gaines,

-palper un ganglion de Troisier.

Aujourd’hui, j’ai appris à soigner des maladies.

***

Aujourd’hui, j’ai appris à

-appeler un ORL en ville pour lui demander une consult’ ce jour,

-expliquer à des parents inquiets le déroulement d’une appendicectomie,

-consoler une ado déçue de ses vacances « gâchées par un p’tit bout de ventre absurde »

-appeler la fille d’un patient pour voir les différentes aides à domicile envisageables,

-appeler un tuteur pour avoir l’accord pour hospitalisation,

-négocier avec l’infirmière de chir pour que le patient monte avant le bloc pour diminuer l’encombrement des urgences,

-faire sortir les parents pour demander à une jeune si elle avait une contraception ou une consommation de substances illicites,

-appeler le pneumologue pour avoir un avis EN URGENCE (c’est là toute la subtilité),

-appeler la sécurité pour le patient violent qui tapait dans les murs pour se casser de cet hôpital de merde,

-écouter l’angoisse d’un vieil homme qui ne veut pas aller en maison de retraite.

Aujourd’hui, j’ai appris à être médecin.

***

Aujourd’hui, j’ai appris à

-aimer mes patients,

-laisser Dieu aimer mes patients en moi (bien plus facile, héhé),

-prier pour mes patients,

-accueillir Sa patience quand mes yeux se levaient au ciel (sans se tourner vers le Ciel)

-regarder avec Sa bienveillance, surtout quand mon stock d’empathie était vide,

-voir en mes patients des bien-aimés de Dieu,

-rendre grâce de pouvoir soigner des petits en faisant tout simplement mon travail.  

Aujourd’hui, j’ai appris à être chrétienne.

 ***

\o/ \o/ \o/

 

 

La décision du curseur

4 Mai

Réveil. Je me lève et je te bouscule, je prépare mon café soluble – je note mentalement de penser à  faire chauffer l’eau avant, la prochaine fois. En retard comme toujours souvent, je retrouve mon interne devant l’hôpital, bonjour bonjour, et nous allons dans le service. Nous enfilons nos blouses, puis écoutons les transmissions des infirmières.

***

M. Gentil, 87 ans, ne va pas bien. Hospitalisé pour une infection grave, il accumule les problèmes : dénutrition, anémie, insuffisance rénale, allergie aux antibiotiques, insuffisance cardiaque, hypoxie… Pour l’instant tout est sous contrôle, mais il suffirait d’un rien pour décompenser l’une ou l’autre de ses co-morbidités. En gros, le patient est sur une ligne de crête, avec un cap aigu à passer. Il peut s’en sortir nickel, mais le moindre coup de vent peut lui faire perdre son équilibre… Et il se pourrait bien que sa nouvelle crise de goutte du jour soit ce coup de vent – un mistral perdant, en somme.

***

Face à un tel patient, la question que personne n’ose poser clairement est : jusqu’où va-t-on ? Souvent, on en reste aux sous-entendus, aux soupirs, aux silences… Heureusement, mon interne est un chouette type : il décide de prendre le taureau par les cornes, et ça détend tout le monde : l’équipe peut imaginer ce qui risque d’arriver, donner son avis, échanger. Anticiper. Expliquer les soins, mettre tout le monde d’accord dessus.

En effet, s’il ne faut pas s’obstiner déraisonnablement, il ne faut pas non plus abandonner la partie. Il faut juste savoir où placer le curseur, et ce n’est pas vraiment fastoche. Ce n’est pas logique ou rigoureux, ce n’est pas dans les livres, ce n’est pas un protocole à suivre.

***

Prenons le cas de la dénutrition. Elle grève sévèrement le pronostic, et son amélioration peut vraiment permettre à M. Gentil de passer ce foutu cap. Nous avons toute une gamme de moyens, plus ou moins invasifs, pour lutter efficacement et rapidement contre. Nous avons commencé par les compléments alimentaires, ça ne suffit visiblement pas. Il faut maintenant envisager l’étape 2 : la sonde naso-gastrique. Médicalement, ça va clairement l’aider à faire face à cet épisode aigu. Ce n’est pas douloureux une fois en place. La nutritionniste est partante. Le risque iatrogène est limité, et financièrement c’est peanuts. De notre point de vue, la sonde vaut largement le coup.

Mais pour M. Gentil ? Est-ce que c’est déjà trop ? Est-ce que ça a du sens d’aller coller un tuyau à un vieux monsieur de 87 ans tout plein de maladies qui de toute façon finiront par gagner ? Est-ce que le bénéfice est suffisant ?

Pour en parler, nous passons une heure avec lui, puis une heure avec sa famille. Nous abordons entre autres ce problème précis, en expliquant les intérêts de la sonde, en écoutant les réticences du patient. Finalement, nous convenons de la poser puis de réévaluer son intérêt dans une semaine.

Nous décidons tout simplement, ensemble, de l’emplacement du curseur pour chaque problème.

On se met aussi d’accord pour marquer NTBR dans son dossier, en gros, en rouge et en souligné : Not To Be Reanimated.

***

A la fin de la journée, la prise en charge est claire. L’équipe, le patient et la famille sont d’accord avec ce qui est décidé, chacun a pu formuler ses questions et ses opinions : une vraie décision collégiale, comme dans les livres. Je bénis mon interne qui a si bien géré la situation.

Avant de partir, en retirant nos blouses, nous nous demandons : sérieusement, qui sommes-nous pour participer à des décisions pareilles ? Nous avons 23 et 27 ans, le chef qui a juste validé la décision en a 32.  Nous ne sommes ni philosophes ni penseurs, nous ne savons pas, la blouse ne nous rend pas meilleurs ou plus sages que les autres.

Mais peut-être qu’elle nous permet d’y croire un peu, pour nous rendre capables d’affronter ça ?

J’ai testé pour vous… faire de la médecine en chirurgie

2 Juil
Je sais, je sais, j’écris peu. Excuse-moi.
Promis, je me flagelle tous les soirs un bon quart d’heure en pensant à toi et au blog. Mais pas trop fort, ça me ferait mal au dos (faut pas déconner non plus). Puis mon dos, en ce moment, j’y tiens : j’en ai besoin pour rester debout toute la journée au bloc. Eh ouais, je suis en stage de chirurgie.
Et même en chirurgie, on arrive à essaie de faire un (petit) peu de médecine. Et c’est beaucoup plus rigolo qu’ailleurs. Ou plus triste, je sais pas encore bien.
***
Par exemple, avec la dame du Quatre. (En chir, on s’en fiche des noms, car « c’est à ça que servent les numéros de chambres, non » ? (Mon chef est formidable).
Opérée pour un sale truc, son état s’améliore de plus en plus chaque jour. Et puis soudain, le drame : elle respire moins bien, elle a des nausées, et « oh dis donc j’me sens pas bien », qu’elle dit. Son ECG précédent était moche, on en refait un nouveau. On va gentiment voir un cardiologue la bouche en cœur, on choisit le gentil qui est là le lundi-mercredi-jeudi matin (j’ai appris ses horaires par cœur). On, c’est ma co-externe et moi.
Le cardiologue, il a beau être gentil, il pose quand même la question qui tue :
« Et l’auscultation, ça donne quoi ? ».
Euh… (échange de regards désespérés).
Ben merde. Trois semaines en chir m’ont suffi pour oublier l’existence de mon stétho, et a priori, au vu de ses pommettes écarlates ma co a fait pareil. Aucune de nous deux n’a ausculté le patient, et on se sent un peu con. Surtout quand on entend des bons gros crépitants dans ses bases pulmonaires. Ah bah oui, ahem, effectivement, insuffisance cardiaque gauche, ça explique son petit malaise. Voui.
Allez zou, au Lasilix comme les autres, et que ça pisse !
***
Quelques jours plus tard, l’infirmière vient nous dire que le monsieur du Six respire moins bien. L’interne nous regarde et nous dit : « allez négocier un scan tho pour suspicion d’embolie pulmonaire ». SANS VOIR LE PATIENT. Le chir, ce héros.
Sauf que ma co-externe et moi, le coup des crépitants de la dame du Quatre nous a suffit. On va dans la chambre, et effectivement le patient est dyspnéique. On sort le stétho, on le met dans nos oreilles bien dans le bon sens, on tire un peu la langue et on se concentre.
Aloooors…
Coté face, bruits du cœur réguliers, pas de souffle audible, la vie est belle.
Coté pile, pas de bruits surajoutés, murmure vésiculaire symétr… Ha nan, pardon. Abolition du murmure vésiculaire en haut à gauche. (En vrai, on a dit apex gauche, mais là c’est à vous que je parle et vous l’apex… j’ai comme un doute).
Alors on a demandé une simple radio  du thorax. Qui a montré un petit pneumothorax.
(On est quand même deux supers externes, soit dit  en passant).
J’avoue mon crime, j’expie ma faute: j’ai savouré la tête de l’interne.
Allez zou, promis, je pars me flageller.

M. Échec aurait-il réussi quelque chose?

6 Juin
Dans ma tendre enfance de carabine, je n’avais pas le blog, mais j’écrivais déjà. J’ai gardé ces textes, et aujourd’hui je m’y suis un peu replongée. Alors, autant celui sur mon voisin de palier de l’époque est parti à la poubelle et a même été effacé de la poubelle et plus personne ne le lira jamais et je peux recommencer à respirer, autant je publie celui-ci, là, qui suit.
                                                             ***
1/ M. Échec s’appelle M. Échec, donc déjà ça sent pas bon pour lui.
J’étais quand même super perspicace, à l’époque.
2/ M. Échec est insuffisant cardiaque, il a donc des œdèmes suintants.
Pour ceux qui ne font pas partie du corps médical, ça veut dire que des gouttes d’eau sortent de ses jambes, et au bout de deux heures, une petite flaque se forme à ses pieds. Flippant.
3/ M. Échec est insuffisant rénal, les diurétiques lui sont donc interdits: on lui tuerait ses reins sans espoir de résurrection.
4/ M. Échec est artéritique, on ne peut donc pas lui mettre des bas de contention pour faire diminuer les œdèmes.
5/ M. Échec a un mauvais retour veineux, il a donc des ulcères très moches. L’eau des œdèmes n’arrange rien, évidemment.
6/ M. Échec est diabétique depuis de longues années, l’état de ses pieds est donc épouvantable. Pas encore le mal perforant plantaire, mais pas loin. Associé à ses lésions des jambes et à ses œdèmes, cela lui fait des membres inférieurs vraiment affreux.
7/M. Échec, avec tous ces problèmes, a un métabolisme un peu déglingué. L’effet des médicaments n’a donc plus rien de scientifique mais relève plutôt de la loterie. Par exemple, on a beau avoir arrêté son traitement anticoagulant depuis 5 jours, son INR reste à 4,6.
Pour ceux qui ne font pas partie du corps médical, sachez que son sang est  beaucoup trop « liquide ».
Et que comme  ça me saoule de réécrire « ceux qui ne font pas partie du corps médical » à chaque fois, à partir de maintenant, vous êtes surnommés les Moldus. Voilà, les médecins sont des sorciers, et ma fac, c’est Poudlard. Cool.
Outre cet INR à 4,6, le bilan du jour montre une perte de 4 points d’hémoglobine en 24h. Avec une recherche de sang dans les selles positive. Conclusion : le patient saigne de l’intérieur.
8/ M. Échec a un début de maladie d’Alzheimer, il est donc un peu ingérable. Du genre à appeler en pleine nuit pour avoir du chocolat « du-dessus de l’armoire », à uriner sur ses jambes (décidément ses ulcères n’ont aucune chance), ou encore à refuser la FOGD.
Chers Moldus, apprenez que FOGD signifie Fibroscopie Oeso-Gastro-Duodénal, et consiste en l’introduction d’une petite caméra par la bouche et l’observation du tube digestif haut. Dans le cas de M. Échec, une FOGD permettrait de repérer le saignement, et éventuellement de faire un geste pour arrêter l’hémorragie.
Mais là, M. Échec la refuse.
9/ Sa perte de sang aggrave ses insuffisances cardiaque et rénale. Ce qui majore donc les œdèmes, ce qui amplifie son artériopathie, ce qui…
Vous avez compris.
10/ J’avais écrit tout ça il y a une semaine… Et voilà, M. Échec est décédé hier.
Il était ce qu’on appelle une « impasse thérapeutique ». Logique irréfutable de ces « donc » accumulés, traçant une route directe vers la morgue, malgré tout le panel de médocs à notre disposition.
Alors apprendre à être médecin, ce n’est pas seulement étudier la médecine. La médecine ne pouvait rien pour M. Échec.
Apprendre à être médecin, c’est aussi apprendre à gérer ces situations. Ou plutôt à se laisser dépasser par elles (?), en en tirant malgré tout quelque chose de positif.
Par exemple, M. Échec m’a appris l’humilité médicale. Je lui devais bien ça, un p’tit peu de réussite…
***
NB: 3 ans après, je me rappelle vraiment très bien de ce patient, son nom me vient spontanément, et je vois encore sa tête… C’est assez rare pour être souligné.

Les visites à domicile

8 Mai

En tant qu’externe, je suis souvent à l’hôpital. Mais parfois, un miracle se produit, et je me retrouve chez le prat’, c’est-à-dire en stage chez un médecin généraliste. Oh, j’aime bien l’hosto, mais ça fait du bien d’en sortir de temps en temps. Envolées les blouses blanches, terminés les bons d’examens à négocier, finis les transferts de patients sans dossier médical pour aller avec. Et vive la médecine gé !

Et chez le prat’, ce que je préfère, ce sont les visites à domicile (#VAD pour les amis twittos).

D’abord il y a de l’action. Au cab’, on est assis sur une chaise derrière un bureau, et même avec la meilleure volonté du monde tu en arrives forcément à compter les patients restants dans la salle d’attente. Puis, à terme,  les rainures du parquet. Le concept de sortir dehors, de prendre la voiture et d’aller chez les patients parait alors hautement formidable.

Et puis, en tant que stagiaire qui débarque, les patients me sont de complets inconnus. J’ai un peu  l’impression d’être une petite souris qui se serait glissée là par hasard, aux premières loges pour découvrir l’intimité de pleins de personnes si différentes…

Souvent, évidemment, ce sont des petits vieux qui nous attendent.

Il y a ceux pour qui nous sommes la seule visite du mois.

Il y a ceux dont on aimerait bien être les petits-enfants.

Il y a ceux qui ont 17 chats.

Il y a ceux qui doivent encore se rappeler de la frayeur de la stagiaire quand elle a vu débouler un féroce troupeau d’oies. (Déconnez pas, ça fait peur).

Il y a ceux qui cachent mal leurs cendriers débordant de mégots. « Si, docteur, je vous juuuuuuuuuuure que j’ai réduit…».

Il  y a ceux qu’il faut hospitaliser.

Il y a ceux qui nous proposent une p’tite goutte avant de partir.

Il y a ceux qui nous ont oubliés et qui viennent ouvrir la peur au ventre, dans la crainte d’un voleur.

Il y a ceux qui guettaient notre arrivée depuis le PMU d’en face.

Il y a ceux qui ont une maison en forme de coin de prière. Jean-Paul II et Sainte Thérèse de Lisieux font un carton, j’vous le dis. Sur la commode trône une bouteille d’eau de Lourdes, une statue de la Sainte Famille, des icônes, la Bible, et évidemment une crèche lorsque l’époque s’y prête.

Il y a même eu celle qui m’a agrippée ma médaille miraculeuse en me montrant la sienne, m’arrachant le cou par la même occasion. Puis qui m’a proposée une croix en pendentif, « vous savez elle est bénie, de toute façon tout est béni chez moi ». J’vous raconte pas la tête de mon prat’ à côté.

Il y a ceux qui ont préparé une jolie liste avec les médicaments dont ils ont besoin.

Il y a ceux qui butent encore sur le mot KARDEGIC, alors qu’ils s’en prennent 75 mg par jour depuis des années.

Il y a ceux qui vivent entourés de photos d’enfants, de cartes postales, de dessins signés Théo, Léa, Manon, Lilou, Arthur ou Timéo.

Il y a ceux qui sont protégés par leurs ancêtres veillant sur eux depuis leurs cadres dorés. Si vous voulez, je peux vous faire un topo sur l’évolution des robes de mariées sur 4 générations.

Il y a ceux qui vivent là où ils ont toujours vécu.

Il y a ceux qui ont fait de leur maison un musée.

Il y a ceux qui ne jettent rien. Sur la table traîne un ticket de cinéma pour Bienvenue chez les Ch’tis. Dans l’étagère, la collection complète des Pages Jaunes de 1995 à nos jours.

Il y a ceux qui fument devant nous.

Il y a ceux qui s’en fichent du médecin, ce qu’ils veulent c’est la tension. Ils la notent dans un petit cahier, comparent avec la fois précédente, se font des statistiques sur l’année. Je crois que ça donne du piquant à leur vie.

Il y a ceux qui s’inquiètent pour leur femme, qui nous raccompagnent à la porte et nous demandent « comment je vais faire Docteur, quand je ne pourrai plus m’en occuper ? ».

Il y a celles qui s’inquiètent pour leur mari, qui nous raccompagnent à la porte et nous demandent « comment il va faire Docteur, quand je ne pourrai plus m’en occuper ? ».

Y’en a tellement… Ils sont tous différents, ils sont tous touchants, ils ont tous un truc improbable.

J’aime bien les visites à domicile.

Problèmes cardiaques, prostatiques et spirituels.

5 Avr

Tadaaaaaam…

Voilà donc le nouvel article que tout le monde me demande! Bon, par « tout le monde », comprenez 3-4 personnes, mais je trouve chouette l’idée de la foule en délire, c’est mon côté « (potentielle) star de rock » qui ressort.

Depuis 15 minutes que je regarde ma page, il y a bien 20 milliards d’idées d’articles qui m’ont traversé l’esprit (vous aurez remarqué l’intensité du trafic, le périph’ parisien peut aller se rhabiller).

Côté catho, le carême, la semaine sainte, Pâques et la dernière homélie de mon curé préféré fourniraient de quoi remplir ce blog jusqu’à… longtemps. Coté hosto, c’est encore pire: partiels, co-externes, stage, patients, hôpital, ambiance, café, ascenseur, sans oublier… plein de trucs (oubliés, donc).

Et alors, allez savoir pourquoi, mais je ne suis pas très forte pour faire des choix. Vous le voyez, le billet bordel qui se profile à l’horizon ou pas ? Bon, évitons, et pour cela retournons aux fondamentaux. Je suis une catho à l’hosto, ok. Qu’est ce que ça veut dire ?

Ben, par exemple…

-aujourd’hui, Jeudi Saint. En termes de catho-importance, sur une échelle de 0 à 10, je dirais 9. La première messe, la première communion, l’Institution de l’Eucharistie et celle de la prêtrise… On ne fait pas les choses à moitié chez les cathos. Du coup, j’avais prévu de sortir de l’hôpital à 17h30 (c’est honnête) pour aller tranquille à la messe de 18h30, puis me faire un bon dîner en vue du bol de riz de demain et dormir tôt.

17h25, j’étais dans le timing.

17h26, l’infirmière vient me voir : M. Vive-Les-Imprévus a une douleur thoracique et euh… il respire bizarre.

17h27, je cours.

17h41, le tracé de l’ECG ne laisse aucun doute : M. Vive-Les-Imprévus s’offre un infarctus.

18h25, je sors de l’hôpital… Ce sera donc la messe de 20h.

-demain, Vendredi Saint, 15h. Jésus meurt sur la croix. Oh, comme j’aimerais passer ce moment dans une chapelle, plongée dans ce mystère improbable d’un Dieu qui meurt homme pour que les hommes renaissent à Dieu ! Mais là, tel que ça se profile à l’horizon, je serai en train de faire le TR de M. Prostate-A-Explorer. Moins glamour.

-les samedis de boulot. Mon interne compatissant me dit de prendre ceux où c’est lui qui est là, comme ça je ne viens pas et il ne dira rien au chef. Ça parait être un bon plan, non ? Simplement, mentir comme ça pendant des mois, ça sent le roussi pour la prochaine confession.

Parfois c’est donc difficile d’être une catho à l’hosto, de concilier ces deux parties de ma vie, sans tomber dans la si facile opposition: je suis catho, MAIS je suis à l’hosto. Je ne pourrais donc pas « bien vivre » mon Vendredi Saint, avec la concentration et la dévotion et le recueillement et tout et tout.

Et en fait, non. Stop, machine arrière.

Je suis catho ET je suis à l’hosto. Les deux parties ensemble, pas opposées mais enrichies mutuellement. Ça tombe sous le sens, mais c’est bon de se le redire de temps en temps.

Demain, quand Jésus sera étendu sur la Croix, j’aurai (peut-être) mon doigt dans un rectum. Et (sûrement) mon cœur au Golgotha.  Je suis une catho à l’hosto, quoi.

La Dignité, un mot à penser.

9 Fév

Depuis quelques jours, pour des raisons totalement inexpliquées et indépendantes de l’actualité, un mot me trotte dans la tête : dignité.

Bon, plutôt une expression, en fait : « dignité de l’être humain ». 11 000 000 de résultats environ sur Google. Apparemment je ne suis pas la seule à me poser des questions.

Dignité. Digne. Être digne de.

Je cherche des exemples de phrases pour contextualiser ces mots, et je m’aperçois d’une chose: ils n’ont pas le même sens!
Je m’explique, je sens que je vous ai perdus. Dites pas le contraire, c’est l’intuition féminine qui parle.
A la messe, tous les dimanches, je dis avec moult conviction : « Je ne suis pas digne de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guérie ». Et quand je fais des choses pas terribles, je me dis à moi-même: «ma fille, ce comportement n’est pas digne de toi ». Derrière ce « être digne de », se cache donc une idée de valeur, de mérite : je ne mérite pas de recevoir le Christ en moi (je vous rassure, il pallie ce manque). Pareillement, je vaux mieux que certains de mes actes (ouf !).

 
Mais qu’en est-il de  la « dignité » ?
La dignité d’une personne, ce n’est pas son mérite. Il me semble que c’est quelque chose de beaucoup plus absolu, plus essentiel.

Tout être humain est-il digne ?
Oui.
Un arrêt de la Cour Européenne de Justice d’octobre 2011 reconnaissait la dignité de l’embryon humain dès sa conception, et par là, interdisait leur utilisation à des fins de recherche scientifique. Déjà à cet âge-là, nous pouvons donc parler de dignité de l’être humain.
D’ailleurs, les personnes pro-euthanasie se battent pour le droit de « mourir dans la dignité » ; très logiquement j’en déduis qu’elles y croient, elles aussi, à la dignité de l’être humain. Ce qui nous fait donc un point en commun, c’est toujours ça de pris 😉 .

 
Bon. Mais d’où nous vient cette dignité ?

Pourquoi l’être humain se sent-il digne ? Nous avons conscience, et c’est heureux, de notre supériorité sur l’animal. Depuis pas mal de temps maintenant, l’homme cherche ce qui l’en différencie : le langage ? L’intelligence ? Le rire ? La spiritualité ? Je vous rassure, je ne prétends pas avoir la réponse, ça me passe bien au-dessus.
En revanche, je pense que la conscience de notre dignité vient justement de la conscience de notre différence. Dans le règne animal, nous sommes une race à part, et cela nous élève.

 
Qu’est ce que cela entraine ?

C’est vrai, quoi, la dignité de l’être humain, c’est bien beau, mais ça lui rapporte quoi ? (« Et combien ? » rajoutera l’affreux libéral). Eh bien, le respect, je crois. Le respect de chaque personne, quels que soient son sexe, sa couleur, sa religion, et j’en passe ; gratuitement et entièrement ; pour le simple fait que c’est un homme, et qu’en soi, il est respectable. (Amen.)

Bon, vous me direz, entre la dignité et le respect, nous voguons de notions abstraites en notions abstraites, c’est très sympathique mais le schmilblick n’avance pas du tout beaucoup. Nous y venons.

 

 

Comment respecter la dignité humaine lors de la fin de vie?

(Oui, hein, nous allons nous concentrer là-dessus, sinon nous ne sommes pas sortis de l’auberge).
Mais d’abord, quels sont les attributs de la dignité humaine ? Accrochez-vous, c’est ici que les opinions divergent. Comme je suis une scientifique, je vous ai fait des jolis graphiques. (Vous m’en direz des nouvelles !) (Cliquez pour agrandir.)

CE QUE J'EN PENSE

CE QUE D'AUTRES EN PENSENT

Ces graphiques, très simplistes je l’admets, posent au final une question : la dignité de l’être humain est-elle absolue ou relative ?

Je penche plus fort que la tour de Pise pour la première hypothèse. La dignité de l’être humain s’étend de l’embryon jusqu’au vieillard, elle est intrinsèque au genre humain. L’homme ne perd jamais sa dignité d’homme, vivrait-il dans les conditions les plus indignes. Et d’ailleurs, je veux pas me la péter mais un peu quand même mais la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 voit son Préambule commencer ainsi: « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », et cætera, et cætera. On retient: « dignité inhérente ».

Si la dignité était relative (seconde hypothèse pour ceux qui suivent), c’est-à-dire plus ou moins présente selon les conditions de vie de la personne… qui déterminerait les « critères » d’indignité ? Aujourd’hui, certains pensent à la douleur, la dépendance, la pénurie de personnels. Au Pays-Bas, c’est désormais la vieillesse qui est visée. Dans 15 ou 30 ans, ce sera la myopie?! Nous souhaitons tous mourir en bonne santé, c’est humain ; la mort est sale, la mort est triste, la mort n’est pas glamour; nous voudrions donc « mourir en vie », si je puis dire. Avec, à terme, le mythe de l’homme parfait, efficace, fonctionnel. Utile. Sans faiblesse, sans vulnérabilité.

Je reviens à ma question : comment respecter la dignité de l’être humain en fin de vie?

hypothèse n°=1, la dignité est un absolu.

Le respect consiste alors à assurer des conditions de vie dignes de l’homme. Vous avez vu, le « digne de » est de retour ! Et oui, car du fait de notre dignité, nous méritons une certaine qualité de vie. Et malheureusement, c’est loin aujourd’hui d’être le cas, comme cette jeune de 17 ans le dénonce avec talent.

Respecter la dignité de la vie humaine, c’est employer davantage de personnel dans les maisons de retraites. Développer et améliorer les soins palliatifs, notamment pédiatriques. Soutenir les réseaux d’aides à domicile. Veiller à l’accompagnement médical, psychologique, social, spirituel des malades et de leurs familles. Former les médecins et soignants de toutes spécialités. Continuer les recherches pour optimiser sans cesse la prise en charge. Mais aussi…communiquer sur toutes ces actions auprès de la population, pour la sensibiliser à la question. Des sondages montrent que les français sont pour l’euthanasie ? D’autres montrent qu’ils ne sont surtout pas du tout informés.

Respecter la dignité de la vie humaine, c’est aussi interdire l’acharnement thérapeutique. Et ça, ça tombe bien, parce que C’EST DÉJÀ FAIT. La loi Léonetti de 2005, les amis. Mais vous êtes 68% à ne pas le savoir (cf lien ci-dessus).

hypothèse n°=2, la dignité est relative.

Dans ce cas, respecter cette dignité signifie euthanasier le patient, avant qu’il ne soit rendu indigne de vivre de par ses conditions de vie. Mais alors, quels « critères » pour évaluer la dignité d’une personne? Mais alors, quel « seuil » pour passer de la dignité à l’indignité ?

En conclusion, parce que ma fibre scientifique se double d’un esprit synthétique, le choix se résume à ça:

-Soit nous avons notre dignité, DONC nous méritons de meilleures conditions de fin de vies.

-Soit nous avons certaines conditions de fin de vie, DONC notre dignité n’est plus assurée et il faut euthanasier.

Je choisis la vie, résolument. Et vous?

Edit: un nouveau lien, la réaction de Jean Léonetti à la proposition de F. Hollande. Je cite: « Quant à la notion de « dignité », il rappelle qu’elle ne peut « se limiter à l’estime de soi qu’on lit dans le regard de l’autre », mais qu’elle est intrinsèque à « la personne humaine elle-même, comme le rappellent tous les textes constitutionnels ou internationaux ». » Je vous promets, je l’avais pas lu avant. Mais vous savez ce que l’on dit des grands génies…

La grâce du P1

4 Fév

Il y a UN article qui est incontournable sur un blog médical. C’est celui traitant de la P1, la fameuse première année. Par exemple, Jaddo, qui est aux médecins ce que Koztoujours est aux cathos, en parle très bien ici ou . Et puis, il y a aussi Georges Zafran, Dr Milie, lui qui y consacre carrément tout son blog, pleins d’autres… IN-CON-TOUR-NA-BLE, vous disais-je. Un article récent du Monde, sur les élèves des prépas, me donne envie de m’y mettre, parce que bon, on les plaint on les plaint, mais médecine, c’est pareil, avec des pleurs et des grincements de dents, et je ne laisserai pas la palme du martyre m’échapper si facilement.
Dans ma petite fac, nous étions 700 à passer le concours, avec un numérus clausus de 120 places. En gros, 1 personne sur 6 décrochait le sésame. Bon, « fingers in the nose », quoi. Ceci dit, nous avions de la chance : à Marseille, c’est 1 sur 10.
Lorsque j‘y repense aujourd’hui, je ne sais pas comment j’ai réussi à vivre ça pendant un an. Je crois que je n’ai pas eu le choix, tout simplement. Nous sommes plongés dans un monde parallèle, la tête dans le guidon, sans avoir assez de recul pour voir l’absurdité des choses. Par exemple :
-je me suis levée à 7h tous les jours pendant un an, samedi et dimanche compris.
-j’ai appris à aimer le café. J’ai même découvert qu’il était beaucoup plus efficace d’avaler directement les grains de café.
-les jours où je me donnais le luxe de BOIRE mon café, je le faisais à la paille, pour pouvoir bosser ma chimie en même temps.
-une fois par semaine,  je me pointais devant l’amphi 1h30 avant le début du cours, pour réserver les places. Je n’ai jamais réussi à avoir le premier rang, mais j’ai collecté dans cette joyeuse bousculade de nombreux bleus et hématomes. L’année d’avant, une fille s’était fait fracturer le sternum.
-je pleurais tous les jours.
-j’utilisais un certain shampoing en P1. J’en ai racheté l’autre jour sans faire attention ; rien que l’odeur me fout une boule de stress dans le bide.
-j’ai commencé à vraiment fumer en P1, parce que ça m’obligeait à faire des pauses, mais pas trop longues. Un pote au contraire a arrêté pour gagner du temps de boulot.
-le prof a réussi à nous faire croire que le schéma de la vitamine B12 pouvait tomber au concours. Je l’ai donc appris par cœur, sans remettre en question l’utilité de la chose.
-lorsque je récitais mon cours d’anat’ et me trompais d’un mot, même si ce n’était qu’un adverbe ou un pronom, je reprenais tout depuis le début. A la fin du semestre, mon frère me demandait la page 27 de mon cahier d’anat et je lui récitais nickel. Aujourd’hui encore, en me forçant un peu, je pourrais vous dire que c’était la première page du chapitre sur la glande mammaire. Développée chez la femme, rudimentaire chez l’homme… Grand un, Origines histo-embryologiques. Oui, je pourrais.
-avec ma voisine de foyer, nous étions tellement en détresse émotionnelle  que nous ne regardions que des films niais: « Princesse malgré elle », « Dirty Dancing 2 », « la Fille du Président », …même le Roi Lion me faisait pleurer, et pas seulement la mort de Mufasa (pour laquelle c’est normal de verser une larme, nous sommes d’accord). Sauf que comme nous n’avions pas le temps pour tout le film, nous connaissions le minutage de nos moments préférés pour chaque film (globalement les scènes de bisous, quoi).
-lorsque je m’autorisais un second thé au goûter, c’était une mauvaise journée niveau boulot. Globalement, je travaillais 11h par jour, 13-14h pendant les révisions. Bon, sauf les jours de craquage complet où je me contentais de 6-8h.
-la dissection du mois de mars a été l’évènement le plus marquant de l’année.
Une année de fou, donc. Sans compter que j’y ai aussi  découvert l’esprit carabin :
-je suis devenue une pro des avions en papiers. J’ai hâte d’avoir des neveux/nièces pour leur montrer  comment ils ont une tante trop cool.
-j’ai hurlé « MORUE » à toutes les filles qui arrivaient en retard. J’ai une excuse : tout l’amphi le faisait. Je l’ai aussi hurlé à l’affreuse minette-de-droit-complètement-superficielle-qui-elle-avait-le-temps-de-se-maquiller-et-d’avoir-une-vie-sociale venue squatter notre B.U., qui s’est fait huer par 300 carabins de tout âge. Je repense à la scène, j’en ris encore.
-j’ai vu en un an plus de fesses qu’un fan de porno.
-mon esprit s’est déplacé. C’est bizarre, dit comme ça. N’empêche, j’ai parfois de grands moments de solitude quand je suis avec mes potes cathos pas carabins.
-malgré ma vie de merde, je n’enviais pas mes potes du lycée qui eux étaient à la fac : MOI, j’avais une faluche. Avec des insignes, et tout et tout.
-aujourd’hui encore, entendre le mot « concours » me donne envie de siffler  « ssssssssssssssélection ! ».
-il y a des paillardes qui me trottent encore dans la tête. Et comme je chante souvent sans faire attention… je vous ai parlé de mes moments de solitude? Le Curé de Camaret aux JMJ, par exemple, ce n’était pas le choix le plus judicieux.  

Vous savez le pire ? Parfois, tout ça, ça me manque. Parce que…
-je me suis fait des sacrés bons potes en P1. Typiquement, si un jour j’ai un cadavre à enterrer, c’est eux que j’appellerai. (Et pas mes potes cathos, avec eux j’vois d’ici le drame que ça ferait.)
-l’émulation permanente de l’intellect, c’est quand même autre chose que regarder à la chaine des épisodes de Gossip Girl. Bon, quand c’est apprendre par cœur la vitamine B12, c’est sûr que l’on peut se poser la question.
-passer 1h30 avec une pote à donner des surnoms cyniques à tous les gens et raconter tous les ragots de la fac, ça n’a pas de prix. Même si c’est entre 6h et 7h30, avant les cours.
-en P1, j’avais une très bonne excuse pour m’enfiler les pots de Nutella.
-être gagnante du concours (sssssssssssssélection) de longueur de poil, ça ne m’arrivera sans doute plus jamais. Vous trouvez ça gore ? Dites vous bien que s’épiler les jambes, c’est 30 minutes tous les 10 jours. Impensable.
Et puis surtout, c’est en P1 que ma mère a arrêté de m’imposer la messe le dimanche. Et que je me suis rendue compte que ça me manquait.

Histoires de vie en soins palliatifs

2 Fév

Récemment, le thème de l’euthanasie a refait surface. Je ne suis pas une grande philosophe, je ne suis pas très à l’aise dans un débat, je laisse cela à d’autres. En revanche, je suis externe en médecine, et je ressors d’un stage en soins palliatifs, justement. Alors, je vais vous parler de certains de mes patients.

Petit rappel de la loi Leonetti de 2005 pour commencer. Cette loi constitue un item de l’internat, et pour chaque item, nous avons une liste de PMZ (Pas Mis Zéro), dont l’oubli, comme leur nom l’indique, entraine une bulle au dossier entier. (Oui, les médecins sont très pragmatiques quand ils inventent des expressions).  Ce sont donc les points majeurs de cette loi :
-interdiction de l’euthanasie;
-interdiction de l’acharnement thérapeutique l’obstination déraisonnable;
-obligation de traçabilité des décisions médicales dans le dossier du patient;
-respect des volontés du patient, soit conscient, soit par directives anticipées, soit par personne de confiance;
-l’arrêt des soins curatifs ne doit pas être un abandon du patient.

Maintenant, mon expérience sur le terrain.

Nous avons eu UNE demande d’euthanasie, en deux mois, non pas du patient, mais de sa fille. Mr V. s’était dégradé très rapidement dans la nuit, et nous avions beaucoup de mal à soulager sa  douleur. Ce n’était plus qu’une question d’heures, sa fille le savait, et souhaitait abréger ses souffrances, à lui, et aussi à elle. Mais est-ce la qualité de la vie qui en fait sa dignité ?
En tout cas, le médecin a été très clair, jamais l’équipe médicale ne pratiquerait cet acte. En revanche, la psychologue du service a passé l’après-midi avec cette femme, cherchant à répondre à la souffrance exprimée par cette demande.

Autre patient, autre situation : Mr B. était déjà dans le service lorsque j’y suis arrivée, il y vivait une fin de vie très longue, mais ses douleurs et ses angoisses étaient vraiment soulagées. Puis, à la toute fin, il devint inconscient et souffrit d’insuffisance respiratoire. En bonne externe, j’allai chercher l’appareil pour prendre la saturation, pour éventuellement lui mettre de l’oxygène en fonction du résultat. Sauf qu’en fait, non. La médecin m’a demandé si le monsieur avait l’air gêné, il ne l’était pas. Donc non seulement on ne lui met pas d’oxygène, mais en plus on ne prend pas non plus sa satu’. Dur à accepter, je ne vous le cache pas.  « L’obstination déraisonnable » commence ici, et il faut être bien au clair dans sa tête de médecin pour ne pas s’y prêter.
Ce n’est que lorsque nous avons vu le patient gêné, inconfortable, « cherchant l’air » pour respirer que nous  lui avons mis des lunettes d’oxygène pour l’aider. Et il a fallu expliquer pendant 45 minutes à sa fille que ce n’était pas de l’acharnement thérapeutique mais véritablement un soin de confort, pour éviter  à son père cette sensation inconfortable de manquer d’air.
Beaucoup de proches expriment cette peur, et nous demandent d’expliquer le pourquoi de tel traitement, le but de tel autre… J’ai lu l’autre jour cet article d’Henry le Barde qui interviewe une médecin gériatre (ce qui lui donnerait un petit côté journaliste amateur si la médecin n’était pas tout simplement…sa femme). Celle-ci pointe du doigt le manque de communication autour des soins pall, qui crée une « fausse alternative entre acharnement thérapeutique et euthanasie ». Car justement, les soins palliatifs se situent entre les deux. Accompagner les personnes en fin de vie, sans retenir de force ni écourter cette dernière.

Et dans « accompagner une fin de vie », il y a « vie ». Ça parait évident, et pourtant, c’est important. Nos patients vivent encore, et parfois cela réserve bien des surprises. C’est vrai, quoi : entendre une patiente rire avec sa famille la veille de son décès, ça a quelque chose d’indécent !
Ou pire encore : Mr V., arrivé extérieurement plus en forme que tout le service réuni, mais avec un bilan biologique…Mon Dieu, j’aurais du faire une copie, c’était collector tellement c’était mauvais. Il en avait pas UN de bon le monsieur, et il le savait, qu’il allait mourir très vite. Et il a fait un truc un peu fou, pas tout seul il est vrai : lui et sa femme ont reçu le sacrement du mariage. Histoire de « régulariser la situation », comme il disait. Dans le service des soins pall’, c’était flex.  Il est tombé dans le coma le lendemain, décédé deux jours après.
Mon chef de service, qui est un homme formidable, nous a confié être toujours ému de voir que ses patients aux portes de la mort faisaient encore des projets. Continuaient de s’accomplir. Vivaient encore, quoi.

Enfin, terminons par une patiente. Cette femme était la mère d’un médecin de l’hôpital. Elle est restée assez longtemps parmi nous, et son fils venait tous les jours, jonglant avec son service situé deux étages plus bas. Il connaissait la maladie de sa mère, il savait comment ça se passerait, il en avait vu des patients atteints du même crabe, il comprenait que désormais on ne pouvait rien faire et que les soins seraient uniquement palliatifs (à l’inverse de curatifs, donc). Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de nous sortir des énormités médicales. De nous demander des traitements qui n’étaient pas du tout adaptés. De ne pas voir l’imminence du décès.  Cet homme, pour qui la mort est le quotidien, se prenait de plein fouet l’approche de celle de sa mère.  Et c’était touchant de le voir se laisser complètement atteindre et bouleverser, loin d’être blasé.

Maintenant, mon stage est terminé, je vous reparlerai sans doute de certains patients, de certains soignants. Mais une chose est sûre, les soins palliatifs sont à développer d’urgence, ils sont notre avenir…à chacun d’entre nous ! Je parle bien sur de services hospitaliers de soins palliatifs, mais aussi et surtout de réseaux de soins, de lits identifiés dans d’autres service, de communication autour des soins palliatifs… C’est une manière de regarder l’Homme qui est magnifique, de lui reconnaitre son humanité dans sa faiblesse, dans son incontinence, dans ses pleurs, dans sa douleur. En deux mois de stage, j’en ai vu des choses dures, des fins de vie difficiles. Je n’ai jamais vu de patients indignes de vivre. Je vous invite donc tous à signer la pétition d’Alliance Vita (je sais, c’est une habitude chez les cathos, toujours une pétition sous la main. Sauf que là, ce n’est pas en tant que catho que je parle, juste en tant qu’humaine). D’ailleurs, regardez, le Conseil de l’Europe est d’accord 😉

Je vais terminer ce billet en recopiant le texte affiché en salle de soin à l’intention de l’équipe médicale, donc.

« Les Soins Palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive et terminale.
Les Soins Palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche.
Les Soins Palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort.
Ils s’efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès et proposent un soutien aux proches en deuil.
Ils s’emploient par leur pratique clinique, leur enseignement et leurs travaux de recherche, à ce que ces principes puissent être appliqués. »

Définition des Soins Palliatifs, Préambule, par la Société Française D’accompagnement et de Soins Palliatifs, 1996

Ces 3 patients qui ont changé ma vie

13 Nov

Dans 15 jours, je vais expérimenter une fois de plus le coté obscur de la vie étudiante : les partiels. Je suis donc en (ré)vision, et prévois beaucoup de choses à faire pour dans 16 jours (très exactement). Mais d’ici là, j’ai besoin parfois de repenser à d’anciens patients pour me motiver à apprendre mes cours…disons… de cardio (au pif). Et comme je suis une fille très pragmatique, je vais faire de ces repensées un billet, histoire de valider la case blog sur mon programme.

3 patients, ceux que je ne veux pas oublier.

-Mme Ch’ti.

1er stage, après le P1, avec les infirmières. Mme Ch’ti est une vieille dame, drôle et sympa.  Mais elle vient d’un milieu social défavorisé et ne comprend pas le concept de la toilette QUOTIDIENNE, l’odeur de ses vêtements s’en ressent, c’est une véritable ode au maroilles. Pour entrer dans sa chambre, il faut donc se préparer à rigoler sans inspirer, exercice difficile si l’en est. Mais j’aime bien y aller, j’ai bossé comme une tarée pour y arriver, tout me parait merveilleux. Et puis, au bout d’une semaine, j’assiste à la visite des médecins. Oups, pardon, des chiiiirurgiens. Exceptionnellement, le chef est présent, jour de grâce.

Il entre dans la chambre (sans frapper), nous entrons tous (en fin d’année scolaire/période de stage, ca donne : chef+interne+3 externes+infirmière+2élèves infirmières+moi. Beaucoup de beau monde pour une petite chambre). Grand sourire bienveillant pour Mme Ch’ti. Regardez tous, c’est moi qui l’ai opéré, c’est mon œuvre. L’interne tire la gueule, personne ne se demande pourquoi.

Et alors, madame, ca va bien depuis l’opération ?

Mme Ch’ti répond, il n’écoute pas du tout, il commente le dossier aux externes.  Tant pis pour lui, seconde question, elle lui rétorque en ch’ti. Il insiste, elle persiste. En vrai ch’ti incompréhensible, comme une vraie langue, quoi. Et c’est là que ca devient croustillant, avec le recul je ne sais même pas comment ça a pu arriver : il a du demander aux infirmières si la patiente parlait français. Une semaine plus tôt, le mec lui a déboité la hanche, scié l’os et foutu une prothèse a la place.  Et il a besoin de demander pour être sur (j’en arrive à avoir des doutes sur mes souvenirs, tellement ça me parait énorme). En tout cas, cette chère madame Ch’ti n’a plus parlé français qu’avec l’infirmière. Le chef s’est donc vu obligé de passer par elle. Comique de situation maximal:

le chef : Martine (c’est l’infirmière), tu peux demander à Mme Ch’ti si elle a mal?

Martine : Mme Ch’ti, avez-vous mal?

Mme Ch’ti (en parfait français, regardant le chef droit dans les yeux) : un peu. Surtout le matin.

L’un de mes fous rires intérieurs les plus difficiles à réprimer.

Et moi qui sortais du P1, auréolée de gloire, couronnée d’étoile la lune est sous tes pas, j’ai compris un truc : même après mes 15 ans de médecine, je n’aurais pas d’excuse pour traiter les gens de haut.

 

-Mr Souffrance.

Fin de la deuxième année. C’est encore un stage infirmier, en soins intensifs cardio cette fois-ci. Mr Souffrance a mal, vous ne vous y attendiez pas, hein. Il  est allongé sur son lit toute la journée, il est intubé, il ne peut pas parler. Tous les jours, nous lui faisons la toilette, nous vérifions la poche d’urine, nous triturons gentiment ses tuyaux. Pour ça, on abaisse les barrières de son lit, puis on les remonte. Basique, classique. A la fin d’un soin, je remonte les barrières, ca coince, je force. Mr Souffrance fait une tête bizarre, tu m’étonnes : je suis en train de lui écrabouiller la cheville. Je ne peux que bredouiller que je suis désolée, je suis à ça (et encore) de pleurer, surtout que l’infirmière m’engueule, et elle a bien raison. Je suis sous le choc : mon incompétence a nuit à mon patient.

Aujourd’hui, lorsque l’appel de la paresse se fait entendre, j’essaye de penser à Mr Souffrance. Et à tous ceux à qui je risque de faire du mal si je ne maitrise pas mon métier. Ca ne marche pas toujours, mais ça aide.

 

-Mr Fumeur.

Fin de la troisième année, on progresse, d’autant plus que je suis avec les médecins maintenant. Service de pneumo, des cancers partout, des décès chaque semaine, et heureusement un interne génial. Qui se fout de ma gueule lorsque je vais à la chapelle de l’hosto après le déjeuner, mais gentiment. Et puis du coup on avait un peu discuté, c’était chouette.

Mais bref, le sujet, c’est Mr Fumeur. Qui a un cancer grave, alcool et tabac ne se payent pas qu’à la caisse du magasin hélas. Il est normalement traité par chimio en ambulatoire, mais pour le moment, il fait une infection pulmonaire aigue, sous antibiotiques etc. Mais ca va mieux, sauf qu’il mange que dalle. Je passe 70% de mon temps à bosser pour lui : examens, interprétations, avis diabéto (il les cumulait faut dire), avis onco-hémato, avis gastro. Nous allons peut être lui percer le ventre pour y mettre un tuyau et l’alimenter, ca va l’aider. Il va aller mieux.

Quand je reviens le lendemain, Mr Fumeur est mort.

Mr Fumeur, c’est le seul patient pour lequel je me suis vraiment révoltée. Bordel, il allait aller mieux ! On lui aurait foutu son tuyau, et il aurait guéri. Mais j’oubliais son cancer.

Mr Fumeur, c’est le patient qui me hante. C’est le premier, le seul patient qui a été difficile de donner à Dieu. Cela fait 10 minutes que je cherche son vrai nom, je l’ai sur le bout de la langue, je ne peux pas croire que je l’ai oublié. Mais peut être que c’est comme ça que ça doit se passer ?

 

Voila, trois patients, trois personnes, trois expériences. Trois leçons personnelles.

Je n’arrivais pas à écrire au passé, je ne sais pas si cela signifie quelque chose, jm’en fous un peu à la limite. D’y avoir pensé, d’en avoir parlé, me donne envie de retourner en stage : dans les livres, j’apprends à traiter les maladies. Il faut aller à l’hosto pour apprendre à soigner un malade.  Avoir un patient en face de soi pour apprendre à être un médecin.