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Des vieux et un Dieu

13 Août

100 ans, ça fait tout pile un siècle. (Même que 1000 grammes ça fait 1 kilo).

Un siècle d’histoire et de rides qui présentement me contemple depuis un brancard des urgences, et semble de très mauvaise humeur. 

« Je veux rentrer chez moi. Je n’aime pas l’hôpital. J’ai 100 ans alors ça va maintenant, hein ! ». 

Choupinette. Elle est toute renfrognée, toute recroquevillée sur sa douleur de ce qui se révélera être une fracture du col de fémur, toute obstinée à rentrer chez elle. Nous parlons toutes les deux, elle me raconte sa vie. Sa déportation dans un camp de concentration (ça, ça a été dur »), son mariage avec un homme fragilisé par les horreurs de la guerre (« mais il était gentil, assez pour me supporter »), sa carrière de cheffe d’une équipe de femmes (« de toute façon moi je n’aime pas les bonnes femmes, toutes des feignasses »), son fils de 80 ans (« il n’a pas d’enfants alors il vient faire le ménage chez moi »).

Je l’examine, lui demande le silence pour écouter son cœur (« non mais moi je n’ai pas de cœur »). Elle en a bien un, même qu’il souffle fort, c’est ce que je lui réponds.

Je lui explique le programme: une prise de sang, une radiographie, et puis l’hospitalisation.

« Sinon, docteur, plus simplement: une piqûre pour me tuer ? »

Plus simplement… ben tiens. Je souris, je réponds que je sais écouter, voire soigner, mais pas tuer. Je lui dis que ce n’est pas possible la piqûre, justement parce qu’elle a un cœur. Elle me redit que non, je lui redis que si. Qu’on va le trouver ensemble si elle veut bien. Elle bougonne un peu, puis elle dit d’accord, mais que là elle est fatiguée parce qu’elle a raté sa sieste pour venir ici.

Une vraie choupinette.

***

Aujourd’hui c’était elle, demain ce sera un autre, et ainsi de suite. Chaque jour, les urgences accueillent des personnes âgées, qui demandent de manière plus ou moins précise à en finir. Certains veulent la fameuse piqûre, d’autres qu’on les laisse tranquilles, d’autres encore sourient avec indulgence devant mes efforts pour les guérir. Et toujours, cette question… « à quoi bon ? Je suis trop vieux, trop vieille, j’ai enterré mon mari, mes amis, mes collègues et tous mes chats/mes chiens/mes lapins. Je mange et je regarde la télé, je ne sais plus broder, je ne sais plus marcher sans aide. Le 5 du mois, le médecin vient me voir à 17h environ. Le mardi soir, mon fils appelle. Et quelque fois par an, ce sont mes petits-enfants… mais franchement, ils ont autre chose à faire que de me supporter. Je ne sers à rien. Je suis un poids. Et maintenant, je vais être à l’hôpital, ça va les inquiéter, il vaudrait mieux en finir tout de suite ! »

Aucun prof ne m’a jamais appris ce qu’il fallait répondre. Le mot-clef pour le concours de l’internat était « psychothérapie de soutien », ce qui m’avance prodigieusement peu, voire pas du tout.

jesus facepalm

Alors du coup, j’écoute avec attention les deux personnes qui me parlent: le patient… et le bon Dieu. Père, Tu m’as mise sur sa route, alors que veux-Tu que je dise à Ton enfant chéri, fatigué de la vie ?

Parfois ça marche. Mardi, la dame était toute triste de n’être qu’un passé et s’est avoué jalouse de mon avenir, je lui ai répondu qu’il n’y avait que le présent qui nous appartenait pour de vrai, quel que soit notre âge. Après un silence, elle a dit que c’était peut-être vrai finalement.

Mais souvent, je ne sais pas quoi dire.  C’est vrai quoi, Père, franchement, je le comprends mon patient. Passé 90 ans, que veux tu qu’il vive encore ? Il peut encore aimer ? Mais aimer qui, il est tout seul ! Se laisser aimer ? Il est tout seul ! Regarde Père, j’ai mis deux mois à apprendre par hasard que ma voisine octogénaire était morte, tellement elle était seule dans son propre immeuble. La vieillesse, c’est solitude et ennui, même Toi Jésus Tu n’as pas porté ce fardeau alors POUET POUET, Tu peux toujours parler maintenant.

Enfin non, justement, Tu ne peux pas parler; je suis bien trop révoltée pour pouvoir T’écouter.

Voilà… C’est peut-être ça mon problème: il faut que j’arrête d’engueuler le bon Dieu quand je ne Le comprends pas (d’une manière générale, ça me semble une bonne idée #tip). Il faut que je L’écoute, et si je n’arrive pas à Le comprendre… Lui faire confiance quand même.

Seigneur, je ne comprends ni le sens de certaines vies ni le sens de certaines souffrances, mais je veux croire en Toi, en Ton amour. Si Tu le veux, je veux bien servir d’instrument au service de mes patients pour leur transmettre Ta consolation, Ta miséricorde… Ton Amour. Bisous.

Ps: ceci étant dit, j’écoute aussi mon intelligence, héhé. Si vous avez des conseils/trucs pour m’aider, je prends ++++++++++++++++++++++++++. Merci !

Lecture Critique d’Affiche / pour le droit de débattre dans la vérité

16 Mar

Ce billet va être court.

Et pour cause : il pourrait être si long…, ce ne serait pas raisonnable. (Je suis une fille raisonnable).

Je sais bien qu’un billet étoffé compenserait l’irrégularité de publication. Mais fais moi confiance, ami lecteur (oui oui, toi et moi c’est du solide), c’est mieux en court. En plus c’est moi qui décide. Et l’argument ultime…je n’ai jamais aimé « compenser », y’a rien qu’à voir les talons qui le sont pour comprendre pourquoi.

(En vrai, c’est pas vrai, j’aime bien certaines chaussures à talons compensés… J’ai même une paire. Mais tu t’en fous un peu.)

Arrivée à l’issue de cette introduction, il est sans doute temps de t’annoncer le sujet (quand même): la campagne de communication de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. ADMD. Elle est sortie il y a une dizaine de jours, tu remarques que je me suis retenue.

Je précise: je ne parlerai pas de l’euthanasie. Juste de la campagne en elle-même.

On pourrait dire pas mal de trucs, Koztoujours par exemple en a glissé trois mots. Pour ma part, je vais juste me concentrer sur le médical, rapport à l’idée de faire court, et de maitriser un tantinet mon sujet.

Trois patients souffrant d’une maladie, type cancer ou une autre saloperie dans le genre. La possibilité de guérir est écartée.  La démarche n’est donc plus curative et nous sommes dans une logique palliative.

Jusque là, tout le monde est d’accord. Il n’y a rien de conflictuel dans ce que je viens de dire (je ne suis pas une fille conflictuelle).

Maintenant, je pose mon regard d’externe en soins palliatifs sur cette affiche. Quelques éléments…m’interrogent et me hérissent le poil.

Parce que, contrairement à ce que l’ADMD nous montre,

– dans un vrai service de soins palliatifs, la nourriture est bonne. Préparée dans le service par les aides-soignantes, elle fait saliver les externes surtout quand c’est Pascale qui cuisine, je peux en témoigner. Par conséquent, les patients n’ont pas ce teint verdâtre du mec qui va bientôt vomir sa langue de bœuf (souvenirs de cantine). Cette couleur est simplement le résultat d’un filtre photographique savamment choisi.

– dans un vrai service de soins palliatifs, les malades ne sont pas en blouses d’hôpital, en tout cas pas tous : l’équipe soignante essaie au maximum d’avoir le linge personnel du patient. Pour lui et sa famille, c’est bête, mais ça change tout. Ça semble un point de détail, ça ne l’est pas. Sinon, l’affiche ne mentirait pas là-dessus.

– dans un vrai service de soins palliatifs, Mme Le Pen et M. Bayrou n’auraient pas de saturomètre, ce petit machin blanc accroché à leur doigt, qui permet aux médecins de savoir si le sang de la personne est bien oxygéné.

Explications :

* dans un service de médecine curative (médecine interne, gynéco, pneumo, etc.), ça arrive, oui. Surtout en pneumo, forcément. Si la sat’ diminue, on augmente l’oxygène. Bon, c’est du raccourci que je fais, sinon on ne se coltinerait pas 10 ans d’études, quand même.

* dans un service de soins palliatifs, on ne règle pas l’oxygène sur la sat’, mais sur le ressenti du patient : est ce qu’il cherche l’air ? Est-ce qu’il est gêné cliniquement par l’hypoxie ? Le but n’est pas d’obtenir une sat’ supérieure à 90%, mais d’assurer le plus grand CONFORT possible au malade. D’où l’absurdité d’utiliser un saturomètre, en continu qui plus est.

Sauf bien sur pour jouer sur le misérabilisme, rajoutons des tuyaux, ça fera plus pire.

– dans un vrai service de soins palliatifs, ben c’est pareil, ce serait un non-sens total de coller un tensiomètre à un patient. Au niveau médical, ça n’apporterait rien. En revanche, ce truc se gonfle bruyamment toutes les 3 minutes, encombre le patient, et… rajoute du pathétique à la scène. #OhWait, comme on dit sur Twitter.

– dans un vrai service de soins palliatifs, vu la tête des patients, le traitement antalgique aurait été majoré depuis belle lurette. La morphine, ça s’appelle. Et ça marche vachement bien.  Ah, c’est sûr, ça fait moins pleurer dans les chaumières.

Voilà. Je suis restée sur le médical pur, et déjà les mensonges affluent. L’ADMD joue sur le misérabilisme d’une manière éhontée, c’en est même offensant pour toutes les équipes médicales qui cherchent à assurer le meilleur confort à leurs patients.

L’euthanasie, pour ou contre, est un débat qui mérite d’avoir lieu. Mais pour qu’il y ait débat, encore faut-il qu’il y ait information, réflexion, discussion. On en est très loin avec ces images, qui se rapprochent plutôt d’une sorte de kidnapping émotionnel.

Je m’arrête là, ce n’est pas court du tout, même en enlevant les photos. Je ne suis pas une fille raisonnable, en fait.

Je suis une fille énervée.

La Dignité, un mot à penser.

9 Fév

Depuis quelques jours, pour des raisons totalement inexpliquées et indépendantes de l’actualité, un mot me trotte dans la tête : dignité.

Bon, plutôt une expression, en fait : « dignité de l’être humain ». 11 000 000 de résultats environ sur Google. Apparemment je ne suis pas la seule à me poser des questions.

Dignité. Digne. Être digne de.

Je cherche des exemples de phrases pour contextualiser ces mots, et je m’aperçois d’une chose: ils n’ont pas le même sens!
Je m’explique, je sens que je vous ai perdus. Dites pas le contraire, c’est l’intuition féminine qui parle.
A la messe, tous les dimanches, je dis avec moult conviction : « Je ne suis pas digne de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guérie ». Et quand je fais des choses pas terribles, je me dis à moi-même: «ma fille, ce comportement n’est pas digne de toi ». Derrière ce « être digne de », se cache donc une idée de valeur, de mérite : je ne mérite pas de recevoir le Christ en moi (je vous rassure, il pallie ce manque). Pareillement, je vaux mieux que certains de mes actes (ouf !).

 
Mais qu’en est-il de  la « dignité » ?
La dignité d’une personne, ce n’est pas son mérite. Il me semble que c’est quelque chose de beaucoup plus absolu, plus essentiel.

Tout être humain est-il digne ?
Oui.
Un arrêt de la Cour Européenne de Justice d’octobre 2011 reconnaissait la dignité de l’embryon humain dès sa conception, et par là, interdisait leur utilisation à des fins de recherche scientifique. Déjà à cet âge-là, nous pouvons donc parler de dignité de l’être humain.
D’ailleurs, les personnes pro-euthanasie se battent pour le droit de « mourir dans la dignité » ; très logiquement j’en déduis qu’elles y croient, elles aussi, à la dignité de l’être humain. Ce qui nous fait donc un point en commun, c’est toujours ça de pris 😉 .

 
Bon. Mais d’où nous vient cette dignité ?

Pourquoi l’être humain se sent-il digne ? Nous avons conscience, et c’est heureux, de notre supériorité sur l’animal. Depuis pas mal de temps maintenant, l’homme cherche ce qui l’en différencie : le langage ? L’intelligence ? Le rire ? La spiritualité ? Je vous rassure, je ne prétends pas avoir la réponse, ça me passe bien au-dessus.
En revanche, je pense que la conscience de notre dignité vient justement de la conscience de notre différence. Dans le règne animal, nous sommes une race à part, et cela nous élève.

 
Qu’est ce que cela entraine ?

C’est vrai, quoi, la dignité de l’être humain, c’est bien beau, mais ça lui rapporte quoi ? (« Et combien ? » rajoutera l’affreux libéral). Eh bien, le respect, je crois. Le respect de chaque personne, quels que soient son sexe, sa couleur, sa religion, et j’en passe ; gratuitement et entièrement ; pour le simple fait que c’est un homme, et qu’en soi, il est respectable. (Amen.)

Bon, vous me direz, entre la dignité et le respect, nous voguons de notions abstraites en notions abstraites, c’est très sympathique mais le schmilblick n’avance pas du tout beaucoup. Nous y venons.

 

 

Comment respecter la dignité humaine lors de la fin de vie?

(Oui, hein, nous allons nous concentrer là-dessus, sinon nous ne sommes pas sortis de l’auberge).
Mais d’abord, quels sont les attributs de la dignité humaine ? Accrochez-vous, c’est ici que les opinions divergent. Comme je suis une scientifique, je vous ai fait des jolis graphiques. (Vous m’en direz des nouvelles !) (Cliquez pour agrandir.)

CE QUE J'EN PENSE

CE QUE D'AUTRES EN PENSENT

Ces graphiques, très simplistes je l’admets, posent au final une question : la dignité de l’être humain est-elle absolue ou relative ?

Je penche plus fort que la tour de Pise pour la première hypothèse. La dignité de l’être humain s’étend de l’embryon jusqu’au vieillard, elle est intrinsèque au genre humain. L’homme ne perd jamais sa dignité d’homme, vivrait-il dans les conditions les plus indignes. Et d’ailleurs, je veux pas me la péter mais un peu quand même mais la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 voit son Préambule commencer ainsi: « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », et cætera, et cætera. On retient: « dignité inhérente ».

Si la dignité était relative (seconde hypothèse pour ceux qui suivent), c’est-à-dire plus ou moins présente selon les conditions de vie de la personne… qui déterminerait les « critères » d’indignité ? Aujourd’hui, certains pensent à la douleur, la dépendance, la pénurie de personnels. Au Pays-Bas, c’est désormais la vieillesse qui est visée. Dans 15 ou 30 ans, ce sera la myopie?! Nous souhaitons tous mourir en bonne santé, c’est humain ; la mort est sale, la mort est triste, la mort n’est pas glamour; nous voudrions donc « mourir en vie », si je puis dire. Avec, à terme, le mythe de l’homme parfait, efficace, fonctionnel. Utile. Sans faiblesse, sans vulnérabilité.

Je reviens à ma question : comment respecter la dignité de l’être humain en fin de vie?

hypothèse n°=1, la dignité est un absolu.

Le respect consiste alors à assurer des conditions de vie dignes de l’homme. Vous avez vu, le « digne de » est de retour ! Et oui, car du fait de notre dignité, nous méritons une certaine qualité de vie. Et malheureusement, c’est loin aujourd’hui d’être le cas, comme cette jeune de 17 ans le dénonce avec talent.

Respecter la dignité de la vie humaine, c’est employer davantage de personnel dans les maisons de retraites. Développer et améliorer les soins palliatifs, notamment pédiatriques. Soutenir les réseaux d’aides à domicile. Veiller à l’accompagnement médical, psychologique, social, spirituel des malades et de leurs familles. Former les médecins et soignants de toutes spécialités. Continuer les recherches pour optimiser sans cesse la prise en charge. Mais aussi…communiquer sur toutes ces actions auprès de la population, pour la sensibiliser à la question. Des sondages montrent que les français sont pour l’euthanasie ? D’autres montrent qu’ils ne sont surtout pas du tout informés.

Respecter la dignité de la vie humaine, c’est aussi interdire l’acharnement thérapeutique. Et ça, ça tombe bien, parce que C’EST DÉJÀ FAIT. La loi Léonetti de 2005, les amis. Mais vous êtes 68% à ne pas le savoir (cf lien ci-dessus).

hypothèse n°=2, la dignité est relative.

Dans ce cas, respecter cette dignité signifie euthanasier le patient, avant qu’il ne soit rendu indigne de vivre de par ses conditions de vie. Mais alors, quels « critères » pour évaluer la dignité d’une personne? Mais alors, quel « seuil » pour passer de la dignité à l’indignité ?

En conclusion, parce que ma fibre scientifique se double d’un esprit synthétique, le choix se résume à ça:

-Soit nous avons notre dignité, DONC nous méritons de meilleures conditions de fin de vies.

-Soit nous avons certaines conditions de fin de vie, DONC notre dignité n’est plus assurée et il faut euthanasier.

Je choisis la vie, résolument. Et vous?

Edit: un nouveau lien, la réaction de Jean Léonetti à la proposition de F. Hollande. Je cite: « Quant à la notion de « dignité », il rappelle qu’elle ne peut « se limiter à l’estime de soi qu’on lit dans le regard de l’autre », mais qu’elle est intrinsèque à « la personne humaine elle-même, comme le rappellent tous les textes constitutionnels ou internationaux ». » Je vous promets, je l’avais pas lu avant. Mais vous savez ce que l’on dit des grands génies…

Histoires de vie en soins palliatifs

2 Fév

Récemment, le thème de l’euthanasie a refait surface. Je ne suis pas une grande philosophe, je ne suis pas très à l’aise dans un débat, je laisse cela à d’autres. En revanche, je suis externe en médecine, et je ressors d’un stage en soins palliatifs, justement. Alors, je vais vous parler de certains de mes patients.

Petit rappel de la loi Leonetti de 2005 pour commencer. Cette loi constitue un item de l’internat, et pour chaque item, nous avons une liste de PMZ (Pas Mis Zéro), dont l’oubli, comme leur nom l’indique, entraine une bulle au dossier entier. (Oui, les médecins sont très pragmatiques quand ils inventent des expressions).  Ce sont donc les points majeurs de cette loi :
-interdiction de l’euthanasie;
-interdiction de l’acharnement thérapeutique l’obstination déraisonnable;
-obligation de traçabilité des décisions médicales dans le dossier du patient;
-respect des volontés du patient, soit conscient, soit par directives anticipées, soit par personne de confiance;
-l’arrêt des soins curatifs ne doit pas être un abandon du patient.

Maintenant, mon expérience sur le terrain.

Nous avons eu UNE demande d’euthanasie, en deux mois, non pas du patient, mais de sa fille. Mr V. s’était dégradé très rapidement dans la nuit, et nous avions beaucoup de mal à soulager sa  douleur. Ce n’était plus qu’une question d’heures, sa fille le savait, et souhaitait abréger ses souffrances, à lui, et aussi à elle. Mais est-ce la qualité de la vie qui en fait sa dignité ?
En tout cas, le médecin a été très clair, jamais l’équipe médicale ne pratiquerait cet acte. En revanche, la psychologue du service a passé l’après-midi avec cette femme, cherchant à répondre à la souffrance exprimée par cette demande.

Autre patient, autre situation : Mr B. était déjà dans le service lorsque j’y suis arrivée, il y vivait une fin de vie très longue, mais ses douleurs et ses angoisses étaient vraiment soulagées. Puis, à la toute fin, il devint inconscient et souffrit d’insuffisance respiratoire. En bonne externe, j’allai chercher l’appareil pour prendre la saturation, pour éventuellement lui mettre de l’oxygène en fonction du résultat. Sauf qu’en fait, non. La médecin m’a demandé si le monsieur avait l’air gêné, il ne l’était pas. Donc non seulement on ne lui met pas d’oxygène, mais en plus on ne prend pas non plus sa satu’. Dur à accepter, je ne vous le cache pas.  « L’obstination déraisonnable » commence ici, et il faut être bien au clair dans sa tête de médecin pour ne pas s’y prêter.
Ce n’est que lorsque nous avons vu le patient gêné, inconfortable, « cherchant l’air » pour respirer que nous  lui avons mis des lunettes d’oxygène pour l’aider. Et il a fallu expliquer pendant 45 minutes à sa fille que ce n’était pas de l’acharnement thérapeutique mais véritablement un soin de confort, pour éviter  à son père cette sensation inconfortable de manquer d’air.
Beaucoup de proches expriment cette peur, et nous demandent d’expliquer le pourquoi de tel traitement, le but de tel autre… J’ai lu l’autre jour cet article d’Henry le Barde qui interviewe une médecin gériatre (ce qui lui donnerait un petit côté journaliste amateur si la médecin n’était pas tout simplement…sa femme). Celle-ci pointe du doigt le manque de communication autour des soins pall, qui crée une « fausse alternative entre acharnement thérapeutique et euthanasie ». Car justement, les soins palliatifs se situent entre les deux. Accompagner les personnes en fin de vie, sans retenir de force ni écourter cette dernière.

Et dans « accompagner une fin de vie », il y a « vie ». Ça parait évident, et pourtant, c’est important. Nos patients vivent encore, et parfois cela réserve bien des surprises. C’est vrai, quoi : entendre une patiente rire avec sa famille la veille de son décès, ça a quelque chose d’indécent !
Ou pire encore : Mr V., arrivé extérieurement plus en forme que tout le service réuni, mais avec un bilan biologique…Mon Dieu, j’aurais du faire une copie, c’était collector tellement c’était mauvais. Il en avait pas UN de bon le monsieur, et il le savait, qu’il allait mourir très vite. Et il a fait un truc un peu fou, pas tout seul il est vrai : lui et sa femme ont reçu le sacrement du mariage. Histoire de « régulariser la situation », comme il disait. Dans le service des soins pall’, c’était flex.  Il est tombé dans le coma le lendemain, décédé deux jours après.
Mon chef de service, qui est un homme formidable, nous a confié être toujours ému de voir que ses patients aux portes de la mort faisaient encore des projets. Continuaient de s’accomplir. Vivaient encore, quoi.

Enfin, terminons par une patiente. Cette femme était la mère d’un médecin de l’hôpital. Elle est restée assez longtemps parmi nous, et son fils venait tous les jours, jonglant avec son service situé deux étages plus bas. Il connaissait la maladie de sa mère, il savait comment ça se passerait, il en avait vu des patients atteints du même crabe, il comprenait que désormais on ne pouvait rien faire et que les soins seraient uniquement palliatifs (à l’inverse de curatifs, donc). Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de nous sortir des énormités médicales. De nous demander des traitements qui n’étaient pas du tout adaptés. De ne pas voir l’imminence du décès.  Cet homme, pour qui la mort est le quotidien, se prenait de plein fouet l’approche de celle de sa mère.  Et c’était touchant de le voir se laisser complètement atteindre et bouleverser, loin d’être blasé.

Maintenant, mon stage est terminé, je vous reparlerai sans doute de certains patients, de certains soignants. Mais une chose est sûre, les soins palliatifs sont à développer d’urgence, ils sont notre avenir…à chacun d’entre nous ! Je parle bien sur de services hospitaliers de soins palliatifs, mais aussi et surtout de réseaux de soins, de lits identifiés dans d’autres service, de communication autour des soins palliatifs… C’est une manière de regarder l’Homme qui est magnifique, de lui reconnaitre son humanité dans sa faiblesse, dans son incontinence, dans ses pleurs, dans sa douleur. En deux mois de stage, j’en ai vu des choses dures, des fins de vie difficiles. Je n’ai jamais vu de patients indignes de vivre. Je vous invite donc tous à signer la pétition d’Alliance Vita (je sais, c’est une habitude chez les cathos, toujours une pétition sous la main. Sauf que là, ce n’est pas en tant que catho que je parle, juste en tant qu’humaine). D’ailleurs, regardez, le Conseil de l’Europe est d’accord 😉

Je vais terminer ce billet en recopiant le texte affiché en salle de soin à l’intention de l’équipe médicale, donc.

« Les Soins Palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive et terminale.
Les Soins Palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche.
Les Soins Palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort.
Ils s’efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès et proposent un soutien aux proches en deuil.
Ils s’emploient par leur pratique clinique, leur enseignement et leurs travaux de recherche, à ce que ces principes puissent être appliqués. »

Définition des Soins Palliatifs, Préambule, par la Société Française D’accompagnement et de Soins Palliatifs, 1996

N’ayons pas peur de… quoi?

12 Oct

Depuis le mois de Septembre, j’ai l’immense joie d’être en DCEM2, soit la quatrième année de médecine. Je plonge donc dans le monde nouveau, tant attendu et pourtant peu réjouissant de l’externat. Maintenant je fais des gardes comme une grande. Je ne vais pas en cours, j’apprends dans des livres que j’ai achetés. Je n’ai plus une thune sur mon compte. De toute façon je ne sors plus, je bosse (hum). Et bientôt en stage, je remplirais des bons de radios comme une grande. Et le médecin ou l’interne SAURA qui je suis. Et tant pis si l’humanité s’en fout, pour moi c’est un grand pas.

Dans toutes ces nouveautés, il y a les « conf’ » (comprenez conférences ECN (comprenez Examen Classant National (comprenez concours de l’internat))). Les conf’, c’est donc un soir par semaine durant lequel je m’entraine à soigner des patients, ou tout du moins à ne pas les tuer (ça, c’est mon objectif du premier semestre, et c’est déjà beaucoup).

Lundi dernier, ma conf’ avait pour thème l’urologie : nous avons parlé torsion de testicule, éjaculation précoce et impuissance, en bref une soirée comme on les aime. Et j’ai appris un truc, bon en vrai plusieurs trucs, parce que c’est quand même l’enjeu de ces charmantes nocturnes à la fac, hein… Mais un truc en particulier :

C’est à cause des cathos que l’on trouve des éjaculateurs précoces. BAM. On savait qu’aller à l’église rendait obèse, mais alors celle-là, on l’avait pas vu venir ! Il faut dire qu’il n’y a pas eu une vraie étude américaine, aussi. Et bien en fait, pour être plus explicative _ et peut être un soupçon plus honnête par rapport aux propos exacts de mon prof, voici la logique : dans notre culture judéo-chrétienne, les ados ont peur de se faire surprendre en train de se masturber donc ils font ça vite, et donc voilà, ça donne des éjaculateurs précoces. CQFD.

Chers jeunes (hommes), n’ayez pas peur ! C’est un homme en blanc qui vous le dit.

Mais quelle vieille sangsue rétrograde, cette « culture judéo-chrétienne » ! On la retrouve partout, elle est de tous les débats. Étonnant, d’ailleurs, car enfin, ce n’est même pas une racine de l’Europe (je ferai une bonne « trolleuse », moi, tiens…). De la bioéthique au mariage gay, des jours fériés aux monuments historiques, de la vision de la politique à la conception de la justice, la culture judéo-chrétienne s’immisce partout, et ne laisse même pas les ados peinards, elle vient les pourchasser dans ce qui est pourtant l’acte solitaire par excellence. Et après, c’est les médecins qui doivent soigner les dégâts, alors merci bien, hein !

(Oui, d’ailleurs, j’y pense, merci bien, 22€ sont toujours bons à prendre 😉  )

Il y a tant de choses autour de nous et en nous qui viennent de l’héritage judéo-chrétien qu’il devient difficile de savoir quoi exactement. Et pour une personne lambda (donc non catholique) en quête de liberté, je comprends que cela soit lourd à porter. Qu’elle ait envie de faire exploser toute cette « morale chrétienne ».

Face à la question de l’euthanasie, du mariage gay, et de toutes les interrogations actuelles, répondre « Dieu il serait pas content » et s’appuyer sur l’Évangile, ce n’est donc pas très adapté. En revanche, nous pouvons nous appuyer sur un raisonnement humain, une philosophie naturelle. Et là je commence à me dire que notre Créateur a quand même bien fait son boulot: il y a de bonnes raisons d’être contre l’euthanasie même si l’on n’est pas croyant. Et je crois que c’est là un bon défi pour les chrétiens d’aujourd’hui : retrouver par la morale humaine une justification des positions chrétiennes. D’abord pour nous, parce que nous sommes des hommes avant d’être des baptisés, et que nous nous devons d’être toujours en quête de la vérité.Puis pour que les non croyants puissent entendre notre discours, car aujourd’hui,  un argument basé sur la foi est nul et non avenu aux yeux du monde, et faut bien faire avec.

Mais cela ne doit pas être une auto-manipulation de l’intellect pour retomber sur nos pattes catholiques. Cette démarche exige donc une grande vérité envers soi-même, une remise en question parfois douloureuse de nos positions. Et l’acceptation d’être un peu perdu, parfois. Pourquoi au fond du fond du fond, suis-je contre l’euthanasie ? Ça peut faire peur, mais c’est un prix à payer pour être audible dans notre société contemporaine.

Et puis n’ayons pas peur, c’est un homme en blanc qui nous le dit.