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Des vieux et un Dieu

13 Août

100 ans, ça fait tout pile un siècle. (Même que 1000 grammes ça fait 1 kilo).

Un siècle d’histoire et de rides qui présentement me contemple depuis un brancard des urgences, et semble de très mauvaise humeur. 

« Je veux rentrer chez moi. Je n’aime pas l’hôpital. J’ai 100 ans alors ça va maintenant, hein ! ». 

Choupinette. Elle est toute renfrognée, toute recroquevillée sur sa douleur de ce qui se révélera être une fracture du col de fémur, toute obstinée à rentrer chez elle. Nous parlons toutes les deux, elle me raconte sa vie. Sa déportation dans un camp de concentration (ça, ça a été dur »), son mariage avec un homme fragilisé par les horreurs de la guerre (« mais il était gentil, assez pour me supporter »), sa carrière de cheffe d’une équipe de femmes (« de toute façon moi je n’aime pas les bonnes femmes, toutes des feignasses »), son fils de 80 ans (« il n’a pas d’enfants alors il vient faire le ménage chez moi »).

Je l’examine, lui demande le silence pour écouter son cœur (« non mais moi je n’ai pas de cœur »). Elle en a bien un, même qu’il souffle fort, c’est ce que je lui réponds.

Je lui explique le programme: une prise de sang, une radiographie, et puis l’hospitalisation.

« Sinon, docteur, plus simplement: une piqûre pour me tuer ? »

Plus simplement… ben tiens. Je souris, je réponds que je sais écouter, voire soigner, mais pas tuer. Je lui dis que ce n’est pas possible la piqûre, justement parce qu’elle a un cœur. Elle me redit que non, je lui redis que si. Qu’on va le trouver ensemble si elle veut bien. Elle bougonne un peu, puis elle dit d’accord, mais que là elle est fatiguée parce qu’elle a raté sa sieste pour venir ici.

Une vraie choupinette.

***

Aujourd’hui c’était elle, demain ce sera un autre, et ainsi de suite. Chaque jour, les urgences accueillent des personnes âgées, qui demandent de manière plus ou moins précise à en finir. Certains veulent la fameuse piqûre, d’autres qu’on les laisse tranquilles, d’autres encore sourient avec indulgence devant mes efforts pour les guérir. Et toujours, cette question… « à quoi bon ? Je suis trop vieux, trop vieille, j’ai enterré mon mari, mes amis, mes collègues et tous mes chats/mes chiens/mes lapins. Je mange et je regarde la télé, je ne sais plus broder, je ne sais plus marcher sans aide. Le 5 du mois, le médecin vient me voir à 17h environ. Le mardi soir, mon fils appelle. Et quelque fois par an, ce sont mes petits-enfants… mais franchement, ils ont autre chose à faire que de me supporter. Je ne sers à rien. Je suis un poids. Et maintenant, je vais être à l’hôpital, ça va les inquiéter, il vaudrait mieux en finir tout de suite ! »

Aucun prof ne m’a jamais appris ce qu’il fallait répondre. Le mot-clef pour le concours de l’internat était « psychothérapie de soutien », ce qui m’avance prodigieusement peu, voire pas du tout.

jesus facepalm

Alors du coup, j’écoute avec attention les deux personnes qui me parlent: le patient… et le bon Dieu. Père, Tu m’as mise sur sa route, alors que veux-Tu que je dise à Ton enfant chéri, fatigué de la vie ?

Parfois ça marche. Mardi, la dame était toute triste de n’être qu’un passé et s’est avoué jalouse de mon avenir, je lui ai répondu qu’il n’y avait que le présent qui nous appartenait pour de vrai, quel que soit notre âge. Après un silence, elle a dit que c’était peut-être vrai finalement.

Mais souvent, je ne sais pas quoi dire.  C’est vrai quoi, Père, franchement, je le comprends mon patient. Passé 90 ans, que veux tu qu’il vive encore ? Il peut encore aimer ? Mais aimer qui, il est tout seul ! Se laisser aimer ? Il est tout seul ! Regarde Père, j’ai mis deux mois à apprendre par hasard que ma voisine octogénaire était morte, tellement elle était seule dans son propre immeuble. La vieillesse, c’est solitude et ennui, même Toi Jésus Tu n’as pas porté ce fardeau alors POUET POUET, Tu peux toujours parler maintenant.

Enfin non, justement, Tu ne peux pas parler; je suis bien trop révoltée pour pouvoir T’écouter.

Voilà… C’est peut-être ça mon problème: il faut que j’arrête d’engueuler le bon Dieu quand je ne Le comprends pas (d’une manière générale, ça me semble une bonne idée #tip). Il faut que je L’écoute, et si je n’arrive pas à Le comprendre… Lui faire confiance quand même.

Seigneur, je ne comprends ni le sens de certaines vies ni le sens de certaines souffrances, mais je veux croire en Toi, en Ton amour. Si Tu le veux, je veux bien servir d’instrument au service de mes patients pour leur transmettre Ta consolation, Ta miséricorde… Ton Amour. Bisous.

Ps: ceci étant dit, j’écoute aussi mon intelligence, héhé. Si vous avez des conseils/trucs pour m’aider, je prends ++++++++++++++++++++++++++. Merci !

Lettre à un.e athée

10 Mai

Je ne suis pas meilleure que toi.

Si on avait chacun une balance avec d’un côté le bien et de l’autre le mal dont nous sommes responsable, beaucoup d’entre toi s’en sortiraient bien mieux que moi. J’en connais un certain nombre dans le monde médical, par exemple.

Je suis juste… plus chanceuse.

En effet, j’ai l’immense chance de connaître un peu mieux chaque jour la Miséricorde de Dieu, Son amour immense pour moi, Sa volonté de vivre avec moi pour l’éternité. Je fais le mal, je tombe et je retombe, tout comme toi et sans doute pire que toi ; MAIS je crois à Son pardon qui me relève, à Son amour qui m’aime telle que je suis. Ca change tout, comme tu peux l’imaginer. 🙂 

 ***

J’ai parlé souvent avec toi, et je sais que souvent à ce moment-là tu veux répondre avec deux grands yeux compatissants, you know nothin’ Jon Snow. (Le nouvel épisode c’est demaiiiiiiiiiiin !)

La voie de la sagesse moi j'dis.

La voie de la sagesse moi j’dis.

 Bref. Souvent, tu dis que j’invente cet Amour, cette Miséricorde, que je comble le manque du père, que la vie est plus facile avec un Dieu Tout-Amour, que toi tu es plus fort et que tu affrontes la vie en vérité, sans te cacher derrière un bisounours, fut-il tout puissant.

 ***

Je ne suis pas une intellectuelle et les concepts abstraits me font un peu peur, alors je réfléchis plus avec mes tripes qu’avec mon cerveau, en plus c’est vrai il y a des neurones dans le tube digestif. Peut-être que tu as raison, peut-être que Dieu n’existe pas, peut-être que la psychanalyse suffit pour tout expliquer. Je ne peux pas éliminer cette hypothèse, après tout… N’empêche que mes tripes et moi on a de gros doutes là-dessus.

Tu vois, je pensais à tout ça en allant à la messe ce soir. Je n’avais aucune envie d’y aller, aucune envie de devoir assumer ma misère, j’en ai marre de Sa miséricorde, j’en ai marre de lâcher prise, j’en ai marre de Le laisser m’aimer quand zut quoi je ne suis pas aimable, j’en ai marre de ne pas me laisser désespérer tranquillement, j‘en ai marre de devoir ouvrir la porte de mon cœur à un amour immense que je ne mérite pas du tout, j’en ai marre d’accepter d’être si petite, j’en ai marre d’accepter d’être une merveille.

Non ce n’est pas contradictoire, c’est juste complexe.

Bref, mes tripes votaient pour un retour illico presto sur mon canapé, et c’est justement ce qui me fait douter de ton histoire de psychanalyse. Tu vois… croire en Dieu, ce n’est pas confortable, en tout cas pas pour moi. Je me retrouve trop souvent en rébellion contre Dieu pour croire que c’est moi qui L‘invente, ou alors je suis SM mais je crois pas non plus. Je refuse trop souvent l’infini de Son pardon pour que cette idée complètement absurde vienne de moi.

Ce n’est pas confortable du tout d’être aimée telle que je suis et non telle que je voudrais être, d’accueillir Son pardon à chaque chute, de lâcher prise sur ma misère pour saisir la corde du Salut, bref d’espérer en Sa miséricorde (j’ai toujours adoré ce jeu de mot, je suis contente d’avoir pu le caser celui-là, #PetitBonheurDuJour).

 ***

Croire que Dieu m’aime inconditionnellement, ça veut dire que je dois accueillir Son amour dans tout ce que je suis, même et surtout dans mes facettes les plus détestables.

Croire en cet Amour, c’est être appelée à aimer comme Lui. M’aimer moi, t’aimer toi, L’aimer Lui. C’est l’Evangile du jour : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » ; venant d’un type qui s’est laissé crucifier par amour, ça te pose une certaine exigence hein quand même.

Croire en Dieu, je te promets que ce n’est pas simple. C’est génial et formidable et le meilleur truc de toute ma vie, mais ce n’est pas simple. Je suis arrivée à l’église avec l’impression d’avoir affronté un puissant vent de face, et d’avoir perdu 10 kilos (juste une impression, hmmmpf).

 ***

Je sais bien que ce brillant argumentaire made in Mes tripes® ne va pas te rendre croyant, d’ailleurs ce n’était pas le but. De toute façon, croire c’est avant tout rencontrer Dieu, d’une façon ou d’une autre. Mais voilà, ça me semblait être important pour l’idée que tu peux éventuellement te faire de Lui.

***

Dieu n’est pas un bisounours, Dieu est Amour.

C’est bien plus rude, et c’est bien plus mieux !

Mme C., le gentil médecin et la communion des saints. Et l’aspirateur, aussi.

17 Jan

Ça fait longtemps que je n’ai rien écrit, c’est un fait. Euh… niveau phrase d’accroche, je ne suis pas sûre d’envoyer du rêve. Bon, c’est pas grave, après tout, j’ai envie de dire que voilà, quoi.

Définitivement, je tiens mon accroche.

J’ai rien écrit parce que je ne savais pas trop quel sujet aborder. Et puis en fait, j’en ai conclu que si je voulais faire un article sur l’aspirateur idéal pour l’appart’ étudiant, je pouvais (j’le ferai pas, je vous rassure). Le monde ne m’appartient pas (pas encore, mais vous verrez un jour, et ce sera quelque chose), mais ce blog, si.

Aujourd’hui, je vais donc vous parler de Madame C., que j’ai vue en consultation de médecine générale. Le médecin que je suivais est vraiment chouette, en plus il est catho. Bon, certes, il ne croit pas vraiment, mais il tient le bon bout. Ou alors il en est pas trop loin, du bout. Le bout de quoi d’ailleurs ? Pétard, un jour, je ferai un billet sur les expressions loufoques.

Bref. Il me raconte un peu sa vie à elle (Mme C.). Elle vient d’une famille de glandus finis, y’en a pas un qui bosse. À 20 ans, elle revendiquait l’envie de faire des gosses à suffisamment d’hommes différents pour que les pensions alimentaires lui permettent de vivre. Aujourd’hui, elle a 43 ans, elle habite une petite maison poisseuse avec une basse-cour aux conditions hygiéniques douteuses. Et pour ceux que ça intéresse, 3 maris lui ont suffi, à raison d’un enfant par mari, sauf le dernier avec qui elle s’est un peu loupée, faut dire, pas de bol, c’était des jumeaux. Donc 4 enfants, bande de ptits malins. Qu’elle n’a jamais aimé, qu’elle n’a jamais détesté. Ils étaient là, quoi.

Et sinon, elle fume, elle boit, elle ne fait pas grand-chose d’autre. Ah si, bien sûr, elle joue au tiercé. La preuve par A+B que les clichés ne sortent pas de n’importe où.

En gros, à ce niveau-là de l’histoire, je n’ai pas beaucoup de sympathie pour Mme C.

Mais voilà t’y pas qu’elle vient voir son médecin, lui-même étant  accompagné ce jour-là, d’une jeune,  brillante  et pétillante stagiaire. Oh, chuuuuuuut, j’en rougis.

Bref. Alors déjà, Mme C. arrive avec son fils, pour deux consultations différentes, sur un RDV donné. Je ne l’aime pas beaucoup plus que deux lignes au-dessus, donc.

Elle est diabétique, type I. Elle a fait sa prise de sang, et « vraiment docteur c’est hors de question que j’en fasse une tous les mois, docteur, faut pas pousser moi ça me fait mal, et en plus on parle du trou de la sécu mais alors comment ça se fait qu’elle me paye une prise de sang par mois docteur ? »

C’est ça, ma vieille, fait passer ta peur des piqûres pour une tentative citoyenne. Que j’lui réponds de suite. À l’intérieur de ma tête, je vous rassure. (Brillante, la stagiaire, hein ?)

Le médecin lui renouvelle son ordonnance, puis on peut passer à son fils qui « a tombé »  et s’est cassé l’ulna. Oh la feinte, normalement j’ai largué tout mon lectorat un-médical (et le dictionnaire de Word aussi). Bon allez, vous vous coucherez moins bêtes ce soir, l’ulna, c’est le cubitus. Ça sert à çà, les 10 ans d’études en vrai.

Je me disperse, excusez-moi.

Fin de la consultation du fils, la mère repart à la bataille. Elle veut qu’on lui explique son diabète. Le médecin fait une phrase avec pancréas, sucre, glycémie, insuline, malade, compliqué, compliqué, compliqué. Le fils croit comprendre, et donne avec les même mots une version disons… édulcorée. Très très un-médical, voire complètement fausse. Qu’elle ne comprend pas non plus. Le médecin est un peu lassé je crois, donc approuve le fils et ignore l’incompréhension plus que lisible dans les yeux de Mme C.

Et là, c’est le drame.

Oui ce billet manquait un peu de suspense.

Voilà-t’y pas que ma fibre empathique se réveille. Cette dame ne comprend pas sa maladie, ni le pourquoi de ses douloureuses prises de sang, ni les risques, ni pourquoi sa vie n’est pas si douce que cela. Je trouve ça quand même un peu dur, comme d’être prisonnier d’une cage sans barreau.

Et si on est lucide, on ne peut pas lui expliquer, parce que la salle d’attente est pleine, que la fatigue est là, que son Q.I. ne vole pas bien haut, qu’elle n’incite pas beaucoup à la patience ou bienveillance. Parce qu’on est humains, voilà tout. Que la gentillesse ça va bien mais c’est pas possible tout le temps ma bonne dame.

Alors le médecin lui a dit au revoir, bonne journée. Et moi, avec ma fibre empathique qui clignotait à qui mieux-mieux, j’ai eu le sentiment d’un abandon. C’est vrai quoi, s’il se fut agi d’une petite dame charmante prête à  refiler sa confiture maison, je ne suis pas sûre qu’il ne lui aurait pas expliqué un peu plus. En tout cas, il l’aurait rassurée, avec sa voix de gentil médecin.

Du coup, Mme C., je l’ai aussi saluée d’un au revoir, bonne journée. Mais j’ai rajouté : « et que Dieu vous bénisse ! » , juste à l’intérieur de ma tête, ou plutôt juste à l’intérieur de mon cœur cette fois-ci. Mais comme y’a une oreille qui écoute à cet endroit, ce ne fut point en vain. J’espère, je crois, je sais.

Quand même, heureusement que je suis catholique.