Il n’y a pas grand-monde ce jour-là aux urgences, son arrivée me sort de ma léthargie.
« Bonjour Madame, veuillez me suivre. Vous pouvez vous asseoir… Alors, racontez-moi ce qui vous amène ? »
Merde, elle fond en larmes. Mauvais signe.
Elle est enceinte, elle est venue une semaine plus tôt pour être sûre, même que l’écho était normale. Elle est pliée en quatre de douleurs. Elle saigne. Elle angoisse, elle n’ose pas prononcer le mot de fausse-couche. « Ça porterait malheur. Et puis, c’est peut-être des jumeaux qui étaient superposés à l’écho, ils n’avaient pas assez de place pour deux, alors l’un d’entre eux s’est sacrifié ? ». Bon, ça ne va pas être facile.
J’évoque les différents diagnostics possibles, et tente de dédramatiser une éventuelle fausse-couche ; c’est bien ce qui se profile à l’horizon. Non, ce ne serait pas de votre faute. Oui, vous pourriez avoir d’autres grossesses sans problèmes. Oui, c’est fréquent, environ une grossesse sur 5. Je ne sais pas trop si le message passe, au milieu de ses mouchements ( ?) assez sonores. En tout cas elle s’arrête de pleurer, alors je lui prends ses constantes et lui palpouille le ventre.
L’interne arrive, l’examen gynéco commence avec moi dans le rôle du médecin. Effectivement, ça pisse le sang. Je pose mon spéculum et découvre… un truc bizarre. Je sais pas, le col est gonflé, mais surtout, là au-milieu, c’est, euh, quoi ? Interne chérie ? Me dis pas que c’est… si ?
Du matériel trophoblastique.
L’interne me tend la pince, un petit pot, et je commence à tirer sur les tissus, bloqués au milieu du col. La patiente gémit, elle doit douiller méchamment. Et soudain, je l’ai. Au bout de ma pince, un bout d’embryon.
Petit pot. Étiquette. Je ne le pose pas dans la bannette, je veux le descendre moi-même au labo. Seule dans l’ascenseur, avec ce petit bocal. Avec ce petit bout d’être humain. Avec ce mort qui a vécu. Je suis un peu paralysée… Je dessine timidement une croix de bénédiction, puis récite un Notre-Père, en communion avec cette petite âme déjà plongée dans la Béatitude éternelle, déjà auprès de Lui.
Finalement… Je crois bien que c’est elle qui me bénit. :’)
J’ai beau être athée, j’aimerais tomber sur un soignant si plein d’humanité toute religieuse le jour où j’aurai un cap difficile à traverser.
…
si émouvant
Il m’arrive parfois de faire silence, en prenant les nouvelles le matin, sur les écrans… Parce qu’il y a des instants où il n’y a plus de mots,. Plus de pensée possible. Devant la beauté ou la souffrance de l’humanité; Il ne reste que la contemplation. C’est le cas, ici, avec vous, dans cet ascenseur.
Bien à vous
Grudy
Dopa! Toi je te jure !! T’es une sacrée !! A chaque publi t’arrive à m’émouvoir! Chapeau!
Il y en a très des femmes qui ont réussi à me faire couler une larme !
« Un bout d’humain ».
A partir de quand on considère ce « bout d »humain » comme un être humain justement ?
Dès que la conception? , ou bien dès que l’on apprend que l’on est enceinte?; ou quand l’embryon est assez formé pour avoir un caractère physique humain?
Quand Dieu y-a-t-il mis sa griffe ? A la conception? A l’acte de création ou justement à un certain stade de développement de ce « bout d’humain »?
Et les parents ? La mère surtout, dans tout ça?
A la confirmation du « diagnostique enceinte », ce « bout d’humain » est déjà un humain pour la mère, le père. C’est déjà un enfant que l’on voit naître, grandir, vivre…
Rien est acquis, et certainement pas la vie ! Mort avoir d’être né, voilà le grand mystère.
On appelle « perte », » fausse couche », mort-né » , ces « bout d’humain » qui n’ont pas pu avaler leur première bouffée d’oxygène, et pourtant, ils étaient vivants avant d’être nés, et déjà morts avant d’être vivants.
Qu’en penser? Et Dieu? Allez savoir.
Les Pères de l’Eglise comme les scolastiques n’ont aucune réponse quant à la question de la date de « l’inanimation », c’est-à-dire du moment où l’embryon reçoit son âme.
Et les soignants?
Parfois , comprendre est plus dur qu’apprendre.
Qu’on ne connaisse pas grand-chose à ces questions peut se comprendre. La pensée catholique est subtile, les techniques médicales sont complexes.
Mais dans un cas semblable à celui que tu nous donne, comment faire la part des choses?
Tu es soignante, donc tu sais comme agir médicalement dans ce cas.
Tu es catho, donc comment considères-tu l’embryon retiré?
Est-ce un enfant ou est-ce un » bout d’humain » n’étant pas arrivé à terme?
Moi je penses que tu as fait ton travail, que bien évidement tu as beaucoup de questions en tête avec tout ce vécu, et qu’en tant que ( surement) mère un jour ( ben oui, ta vie commence à peine, donc un jour tu feras des bébés …XD c’est à souhaiter!), ça te fait réfléchir ,
Et, tu es avant tout humaine.
Chapeau ma Dopa! Merci pour tes témoignages et pour nous faire réfléchir.
Je t’apprécie beaucoup 😉
Merci d’avoir exprimé ce que je ressentais sans pouvoir y mettre les mots.
Merveilleux… Ma maman a fait 5 fausses-couches… Elle a entendu ce mot… « matériel »… horrible mot aux consonnances étrangères pour une mère qui aime déjà ce petit bout d’humain… ;o)
Hum ça me rappelle une consultation identique, où j’étais l’interne, où j’ai moi aussi retiré du « matériel » coincé dans le col à la pince… malheureusement dans des circonstances beaucoup moins… sereines.
Mon écrit est tellement glauque quand je l’ai relu que je l’ai pas encore publié.
C’est tellement mieux quand on a les moyens de faire les choses comme il faut…
Merci Dopamine pour votre billet mais surtout pour ce que vous avez fait pour cette maman et pour son enfant qui vous avez tellement accompagné.
J’avais écrit un premier commentaire sous le coup de l’émotion de la découverte de votre billet. Il a disparu, c’est bien ainsi.
« Fausse-couche, vraie vie », tout est dit dans votre titre.
Merci
Quelle émotion… Quelle humanité… Merci.
Dopamine, je découvre aujourd’hui ton blog, merci pour tout ce que tu écris. Je suis catho, en D1 à Bordeaux, et je me dis qu’être externe et catho, ça va pas être simple tous les jours. Donc à nouveau, merci pour ton témoignage, en particulier celui de ce billet, de l’écoute de cette femme, de ton attitude avec ce tout petit être humain, qui certainement, du ciel, te bénit et bénit sa maman.
J’aime pas quand on dit fausse couche, après tous ce sont des vrais enfants qui aurai du naitre…