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Marraine

19 Oct

Je n’oublierai jamais cette patiente.

Motif d’hospitalisation : prise en charge palliative d’une patiente de 72 ans, dans un contexte de néoplasie pulmonaire avec métastases hépatiques et cérébrales. Bienvenue en soins pall’.

Je me rappelle de son nom, son visage, son rire, ses yeux lumineux. Son mari était décédé, ils n’avaient pas eu d’enfants. Elle était croyante, catholique, d’une foi profonde qui avait guidé sa vie. Chaque fois que nous allions la voir dans sa chambre, elle essayait de nous convertir… « Vous savez, je vais mourir, je suis si heureuse de Le rejoindre !»… « Vous savez,  faut pas avoir peur, Il m’a rendue heureuse toute ma vie, Il veut faire pareil avec vous ! »… « Vous avez lu la Bible ? Vous devriez ! ». Autant vous dire que je riais beaucoup sous cape ma blouse.

***

Elle n’avait qu’une visite : sa filleule qu’elle avait élevée, protégée, aimée. Elle lui avait transmis sa foi. Ces deux femmes vivaient dans une incroyable complicité de cœur. Elles avaient traversé bien des choses ensemble, ça se voyait. La filleule ne parlait pas de Dieu, mais de sa marraine : « vous savez, dans les contes, les marraines ce sont des fées… ben Marraine c’est pareil : ma bonne fée. »… « Marraine a eu une belle vie, elle a aimé tous ceux qui se sont trouvé sur son chemin »… « Marraine a tellement de chance de pouvoir être là, quelle bulle de paix dans l’hôpital ! ».

Il y avait aussi la fille de sa filleule, une petite puce d’une dizaine d’années. Elle avait l’air de trouver tout ça normal, l’hôpital, les soins pall’… Elle passait des heures à dessiner près de Marraine, à lui tenir la main, à jouer avec le chien du patient d’à côté. Elle ne parlait pas beaucoup, mais elle chantait des cantiques, avec sa frêle voix d’enfant.

 ***

Marraine est restée quelques jours avec nous. Venir la voir était un bonheur, elle avait toujours le sourire. Elle voyait son ange-gardien, on notait hallucinations dans le dossier médical. Elle était béate, on écrivait état d’euphorie persistant. Sacrées métastases cérébrales !

 ***

Et puis, elle est décédée. Les mains croisées sur sa poitrine, tenant son vieux crucifix de bois. Sa filleule lui caressait la main et égrenait un chapelet en silence. La petite fille chantonnait, on l’entendait du couloir.

Evenou shalom alerhem !
Evenou shalom alerhem !
Evenou shalom alerhem !
Evenou shalom alerhem !


Nous vous annonçons la paix,
Nous vous annonçons la paix,
Nous vous annonçons la paix,
Nous vous annonçons la paix, la paix, la paix de Jésus !

Nous vous annonçons la joie,
Nous vous annonçons la joie,
Nous vous annonçons la joie,
Nous vous annonçons la joie, la joie, la joie de Jésus !

Nous vous annonçons l’amour,
Nous vous annonçons l’amour,
Nous vous annonçons l’amour,
Nous vous annonçons l’amour, l’amour, l’amour de Jésus !

Nous vous annonçons la paix,
Nous vous annonçons la joie,
Nous vous annonçons l’amour,
Nous vous annonçons la paix, la joie, l’amour de Jésus !

Femme battue

8 Juil
Il est minuit trente, je rentre tout juste chez moi, l’eau de ma tisane chauffe encore. Tu vois, tu m’as touchée avec tant de force que j’ai trop besoin de t’écrire.
Tu t’es pointée aux urgences, et sur mon ordi s’est affiché ton nom, ton âge, 22 ans, et ton motif d’entrée : « traumatisme fermé mains/pieds/genoux». Encore une qui vient pour une entorse, je lui fais son bon de radio et j’irai dîner pendant ce temps là. Voilà ce que je me suis dit.
Je suis arrivée devant toi, je t’ai demandé ce qui t’amenait, et c’est ta petite sœur qui a répondu.
Ton mari t’a battue, et ce n’était pas la première fois. Ça a commencé après le mariage, tout de suite, très vite, et tu n’as rien dit, évidemment. Tu as été chez le kiné pour des « douleurs dans le dos », tu lui as dit que tu t’étais réveillée avec, comme ça un beau jour, non non tu comprenais pas.
Mais cette fois-ci, ta petite sœur était présente, et elle a vu la scène. Elle me raconte. Il t’a tordu le bras dans le dos, longtemps. Puis il t’a jetée par terre, bloquée contre le mur, et t’a frappée. Tu t’es roulée en boule alors c’est le dos, les jambes, les épaules qui ont pris. Tes vêtements sont déchirés. Ta sœur raconte tout ça, vite, très vite, elle est choquée. Toi je t’observe, tu ne dis rien, simplement ton mascara a coulé, et tu me regardes timidement. Ta sœur te prend la main, vous échangez un regard, et tu reposes tes yeux sur moi. Plus fort.
« Docteur, vous pourriez me faire un certificat ? Je veux porter plainte. »
Docteur?
Si tu savais que je n’ai que 22 ans, comme toi. 22 ans, putain.
Si tu savais que je ne suis qu’une petite fille soudain bien perdue dans sa blouse blanche, face à toi.
Si tu savais que j’ai envie d’aller chercher un adulte et de dire « pouce, c’est pas du jeu, il a triché ».
Mais tu n’as pas à le savoir. Ce soir, je suis la personne rassurante. Encourageante. Solide. La personne à qui tu peux un peu te raccrocher.
Alors, je t’examine. Hématomes. Contusions multiples. La radio montre une fracture du poignet. Je bous à l’intérieur, mon bide se tord, je pleure en-dedans. Mais devant toi, je reste calme. Je rédige mon certificat, en mettant bien comme on m’a appris à la fac : « la patiente déclare être victime d’une agression. Elle présente… ». Je ne peux pas certifier que c’est lui qui t’as fait ça, tu comprends.
Je vais chercher mon interne, pour qu’elle valide tout ça.
Je reviens te voir, te donne tous tes documents, et te laisse repartir. Ce soir, tu iras chez ta mère, et tu dormiras avec ta petite sœur. Tu dois y être en ce moment, peut-être que vous buvez la même tisane que moi, pour vous remettre de ce dimanche tumultueux.
C’est grâce à elles deux que tu es venue ce soir, c’est grâce à elles deux que tu iras demain chez les flics. J’espère.
Moi j’ai fait ce que je pouvais faire, j’ai fait semblant d’être un médecin. Je crois que c’est la première fois que c’est aussi difficile.

J’ai testé pour vous… faire de la médecine en chirurgie

2 Juil
Je sais, je sais, j’écris peu. Excuse-moi.
Promis, je me flagelle tous les soirs un bon quart d’heure en pensant à toi et au blog. Mais pas trop fort, ça me ferait mal au dos (faut pas déconner non plus). Puis mon dos, en ce moment, j’y tiens : j’en ai besoin pour rester debout toute la journée au bloc. Eh ouais, je suis en stage de chirurgie.
Et même en chirurgie, on arrive à essaie de faire un (petit) peu de médecine. Et c’est beaucoup plus rigolo qu’ailleurs. Ou plus triste, je sais pas encore bien.
***
Par exemple, avec la dame du Quatre. (En chir, on s’en fiche des noms, car « c’est à ça que servent les numéros de chambres, non » ? (Mon chef est formidable).
Opérée pour un sale truc, son état s’améliore de plus en plus chaque jour. Et puis soudain, le drame : elle respire moins bien, elle a des nausées, et « oh dis donc j’me sens pas bien », qu’elle dit. Son ECG précédent était moche, on en refait un nouveau. On va gentiment voir un cardiologue la bouche en cœur, on choisit le gentil qui est là le lundi-mercredi-jeudi matin (j’ai appris ses horaires par cœur). On, c’est ma co-externe et moi.
Le cardiologue, il a beau être gentil, il pose quand même la question qui tue :
« Et l’auscultation, ça donne quoi ? ».
Euh… (échange de regards désespérés).
Ben merde. Trois semaines en chir m’ont suffi pour oublier l’existence de mon stétho, et a priori, au vu de ses pommettes écarlates ma co a fait pareil. Aucune de nous deux n’a ausculté le patient, et on se sent un peu con. Surtout quand on entend des bons gros crépitants dans ses bases pulmonaires. Ah bah oui, ahem, effectivement, insuffisance cardiaque gauche, ça explique son petit malaise. Voui.
Allez zou, au Lasilix comme les autres, et que ça pisse !
***
Quelques jours plus tard, l’infirmière vient nous dire que le monsieur du Six respire moins bien. L’interne nous regarde et nous dit : « allez négocier un scan tho pour suspicion d’embolie pulmonaire ». SANS VOIR LE PATIENT. Le chir, ce héros.
Sauf que ma co-externe et moi, le coup des crépitants de la dame du Quatre nous a suffit. On va dans la chambre, et effectivement le patient est dyspnéique. On sort le stétho, on le met dans nos oreilles bien dans le bon sens, on tire un peu la langue et on se concentre.
Aloooors…
Coté face, bruits du cœur réguliers, pas de souffle audible, la vie est belle.
Coté pile, pas de bruits surajoutés, murmure vésiculaire symétr… Ha nan, pardon. Abolition du murmure vésiculaire en haut à gauche. (En vrai, on a dit apex gauche, mais là c’est à vous que je parle et vous l’apex… j’ai comme un doute).
Alors on a demandé une simple radio  du thorax. Qui a montré un petit pneumothorax.
(On est quand même deux supers externes, soit dit  en passant).
J’avoue mon crime, j’expie ma faute: j’ai savouré la tête de l’interne.
Allez zou, promis, je pars me flageller.

M. Échec aurait-il réussi quelque chose?

6 Juin
Dans ma tendre enfance de carabine, je n’avais pas le blog, mais j’écrivais déjà. J’ai gardé ces textes, et aujourd’hui je m’y suis un peu replongée. Alors, autant celui sur mon voisin de palier de l’époque est parti à la poubelle et a même été effacé de la poubelle et plus personne ne le lira jamais et je peux recommencer à respirer, autant je publie celui-ci, là, qui suit.
                                                             ***
1/ M. Échec s’appelle M. Échec, donc déjà ça sent pas bon pour lui.
J’étais quand même super perspicace, à l’époque.
2/ M. Échec est insuffisant cardiaque, il a donc des œdèmes suintants.
Pour ceux qui ne font pas partie du corps médical, ça veut dire que des gouttes d’eau sortent de ses jambes, et au bout de deux heures, une petite flaque se forme à ses pieds. Flippant.
3/ M. Échec est insuffisant rénal, les diurétiques lui sont donc interdits: on lui tuerait ses reins sans espoir de résurrection.
4/ M. Échec est artéritique, on ne peut donc pas lui mettre des bas de contention pour faire diminuer les œdèmes.
5/ M. Échec a un mauvais retour veineux, il a donc des ulcères très moches. L’eau des œdèmes n’arrange rien, évidemment.
6/ M. Échec est diabétique depuis de longues années, l’état de ses pieds est donc épouvantable. Pas encore le mal perforant plantaire, mais pas loin. Associé à ses lésions des jambes et à ses œdèmes, cela lui fait des membres inférieurs vraiment affreux.
7/M. Échec, avec tous ces problèmes, a un métabolisme un peu déglingué. L’effet des médicaments n’a donc plus rien de scientifique mais relève plutôt de la loterie. Par exemple, on a beau avoir arrêté son traitement anticoagulant depuis 5 jours, son INR reste à 4,6.
Pour ceux qui ne font pas partie du corps médical, sachez que son sang est  beaucoup trop « liquide ».
Et que comme  ça me saoule de réécrire « ceux qui ne font pas partie du corps médical » à chaque fois, à partir de maintenant, vous êtes surnommés les Moldus. Voilà, les médecins sont des sorciers, et ma fac, c’est Poudlard. Cool.
Outre cet INR à 4,6, le bilan du jour montre une perte de 4 points d’hémoglobine en 24h. Avec une recherche de sang dans les selles positive. Conclusion : le patient saigne de l’intérieur.
8/ M. Échec a un début de maladie d’Alzheimer, il est donc un peu ingérable. Du genre à appeler en pleine nuit pour avoir du chocolat « du-dessus de l’armoire », à uriner sur ses jambes (décidément ses ulcères n’ont aucune chance), ou encore à refuser la FOGD.
Chers Moldus, apprenez que FOGD signifie Fibroscopie Oeso-Gastro-Duodénal, et consiste en l’introduction d’une petite caméra par la bouche et l’observation du tube digestif haut. Dans le cas de M. Échec, une FOGD permettrait de repérer le saignement, et éventuellement de faire un geste pour arrêter l’hémorragie.
Mais là, M. Échec la refuse.
9/ Sa perte de sang aggrave ses insuffisances cardiaque et rénale. Ce qui majore donc les œdèmes, ce qui amplifie son artériopathie, ce qui…
Vous avez compris.
10/ J’avais écrit tout ça il y a une semaine… Et voilà, M. Échec est décédé hier.
Il était ce qu’on appelle une « impasse thérapeutique ». Logique irréfutable de ces « donc » accumulés, traçant une route directe vers la morgue, malgré tout le panel de médocs à notre disposition.
Alors apprendre à être médecin, ce n’est pas seulement étudier la médecine. La médecine ne pouvait rien pour M. Échec.
Apprendre à être médecin, c’est aussi apprendre à gérer ces situations. Ou plutôt à se laisser dépasser par elles (?), en en tirant malgré tout quelque chose de positif.
Par exemple, M. Échec m’a appris l’humilité médicale. Je lui devais bien ça, un p’tit peu de réussite…
***
NB: 3 ans après, je me rappelle vraiment très bien de ce patient, son nom me vient spontanément, et je vois encore sa tête… C’est assez rare pour être souligné.

Dimitri

25 Mai

Dimitri est mort.

Alors forcément, ça ne vous dit rien, surtout que le prénom n’est pas le vrai : cherchez pas, vous n’avez aucune chance.

Dimitri est mort.

La nouvelle s’est répandue aujourd’hui chez les externes. Les internes, encore nouveaux dans l’hosto, ne le connaissaient presque pas. Quand aux médecins des services « dans les étages », ils sont comme vous : ils n’ont aucune chance.

Parce que Dimitri, c’est aux urgences qu’on le rencontrait, en bas. Il venait environ une fois par semaine, si ce n’est plus. Il arrivait vers 20h, amené par les pompiers. Le plus souvent, il était juste très alcoolisé ; parfois, il allait jusqu’au coma ; de temps en temps, une mauvaise chute entrainait des points de suture. Puis il repartait au matin, les infirmiers lui ouvraient la porte en grand, et marquaient ensuite tranquillement « fugue » dans le dossier. Ça arrangeait tout le monde : les papiers, le paiement, tout ça, c’était un peu compliqué… Dimitri était SDF.

Alors voilà, il passait la nuit aux urgences, il repartait dans la rue au matin, et revenait quelques jours plus tard. C’était Dimitri, quoi.

Et Dimitri est mort.

Tous les externes le connaissaient. Dimitri, c’était le vieil habitué des urgences. Il avait même sa place attitrée. On s’y est tous attaché, et voir son nom dans le tableau de garde nous donnait le sourire. Certains en avait même fait un porte-bonheur : « garde avec Dimitri, dodo à minuit ». Et le lendemain de garde, pour savoir comment ça s’était passé: « c’était bien ta garde ? Y’avait Dimitri ? »

Lui et moi, nous nous sommes croisés à trois reprises. La première fois, il m’a appris la méfiance vis-à-vis des patients endormis. Faut dire, il avait failli me foutre un pain dans la gueule quand j’avais checké son réflexe photo-moteur avec ma petite lampe. Bon, au moins, il n’était pas dans le coma. La seconde fois, ce n’est pas moi qui m’en occupais, mais son ronflement et son odeur avaient ajouté du charme à la garde. La troisième fois, on a enfin échangé quelques mots, il était un peu réveillé. Il m’a demandé en mariage. Puis il m’a vomi dessus. Puis il s’est endormi. Bref instant d’humanité.

Et Dimitri est mort.

C’est un choc pour tout le monde. Dimitri, personne ne pensait qu’il mourrait un jour. La question ne se posait pas. Il était simplement là, pas vraiment malade, juste déglingué par la vie et l’alcool. Un médecin faisait parfois une tentative pour le calmer sur la bière et la vodka, Dimitri souriait, puis il partait en disant au revoir, à bientôt. Et il revenait, le bougre ! Et nous l’accueillions, les urgences ouvraient les bras au fils prodigue qu’il n’était pas, Dimitri retrouvait son brancard et sa place habituelle. La routine.

Et Dimitri est mort : une crise cardiaque, alors qu’il faisait la manche au soleil. Il avait 46 ans.

Sa vie a été assez moche, j’espère que sa mort est belle.

A bon entendeur, salut. (Jésus, je dis ça, je dis rien).

Angélique, marquise des anges.

2 Mar

Il est une fois une femme et un homme qui s’aiment très fort. Ils veulent beaucoup d’enfants, sept il me semble. Affreux cathos…

Un an tout pile après leur mariage, ils nous annonçaient que l’utérus de Madame était squatté par un petit être, très vite surnommé Darling.

A l’échographie du second trimestre, Darling s’est révélée être une fille…porteuse d’une malformation congénitale. Avec une délicatesse digne de Dr House, le médecin leur a annoncé la très courte espérance de vie de cette petite fille, « autant en finir tout de suite » a-t’il dit. Ce n’est pas ce qu’ils ont choisi, malgré la pression médicale, familiale, sociale.

Darling est née il y a trois mois tout pile aujourd’hui. Mais maintenant, nous l’appelons Angélique.

Juste après sa naissance, elle a subi deux opérations, puis elle a passé une semaine chez elle avant de devoir revenir à l’hôpital. Les médecins l’ont placée sous respirateur artificiel ; les perfusions se sont accumulées.

Il y a deux jours, j’ai compté : 27 tuyaux s’entremêlaient autour de ce petit corps de 4 kilos. Le respirateur produisait le bruit d’un moteur d’avion; le reste était une bulle de silence, dans laquelle ses parents étaient plongés.

Alors, même les médecins ont fini par comprendre. Hier, ils ont débranché un à un les tuyaux, et ils ont placé Angélique dans les bras de sa mère. Cette dernière a senti le dernier souffle de sa fille effleurer sa peau.

« Ça valait le coup », m’a-t-elle dit.

Mme C., le gentil médecin et la communion des saints. Et l’aspirateur, aussi.

17 Jan

Ça fait longtemps que je n’ai rien écrit, c’est un fait. Euh… niveau phrase d’accroche, je ne suis pas sûre d’envoyer du rêve. Bon, c’est pas grave, après tout, j’ai envie de dire que voilà, quoi.

Définitivement, je tiens mon accroche.

J’ai rien écrit parce que je ne savais pas trop quel sujet aborder. Et puis en fait, j’en ai conclu que si je voulais faire un article sur l’aspirateur idéal pour l’appart’ étudiant, je pouvais (j’le ferai pas, je vous rassure). Le monde ne m’appartient pas (pas encore, mais vous verrez un jour, et ce sera quelque chose), mais ce blog, si.

Aujourd’hui, je vais donc vous parler de Madame C., que j’ai vue en consultation de médecine générale. Le médecin que je suivais est vraiment chouette, en plus il est catho. Bon, certes, il ne croit pas vraiment, mais il tient le bon bout. Ou alors il en est pas trop loin, du bout. Le bout de quoi d’ailleurs ? Pétard, un jour, je ferai un billet sur les expressions loufoques.

Bref. Il me raconte un peu sa vie à elle (Mme C.). Elle vient d’une famille de glandus finis, y’en a pas un qui bosse. À 20 ans, elle revendiquait l’envie de faire des gosses à suffisamment d’hommes différents pour que les pensions alimentaires lui permettent de vivre. Aujourd’hui, elle a 43 ans, elle habite une petite maison poisseuse avec une basse-cour aux conditions hygiéniques douteuses. Et pour ceux que ça intéresse, 3 maris lui ont suffi, à raison d’un enfant par mari, sauf le dernier avec qui elle s’est un peu loupée, faut dire, pas de bol, c’était des jumeaux. Donc 4 enfants, bande de ptits malins. Qu’elle n’a jamais aimé, qu’elle n’a jamais détesté. Ils étaient là, quoi.

Et sinon, elle fume, elle boit, elle ne fait pas grand-chose d’autre. Ah si, bien sûr, elle joue au tiercé. La preuve par A+B que les clichés ne sortent pas de n’importe où.

En gros, à ce niveau-là de l’histoire, je n’ai pas beaucoup de sympathie pour Mme C.

Mais voilà t’y pas qu’elle vient voir son médecin, lui-même étant  accompagné ce jour-là, d’une jeune,  brillante  et pétillante stagiaire. Oh, chuuuuuuut, j’en rougis.

Bref. Alors déjà, Mme C. arrive avec son fils, pour deux consultations différentes, sur un RDV donné. Je ne l’aime pas beaucoup plus que deux lignes au-dessus, donc.

Elle est diabétique, type I. Elle a fait sa prise de sang, et « vraiment docteur c’est hors de question que j’en fasse une tous les mois, docteur, faut pas pousser moi ça me fait mal, et en plus on parle du trou de la sécu mais alors comment ça se fait qu’elle me paye une prise de sang par mois docteur ? »

C’est ça, ma vieille, fait passer ta peur des piqûres pour une tentative citoyenne. Que j’lui réponds de suite. À l’intérieur de ma tête, je vous rassure. (Brillante, la stagiaire, hein ?)

Le médecin lui renouvelle son ordonnance, puis on peut passer à son fils qui « a tombé »  et s’est cassé l’ulna. Oh la feinte, normalement j’ai largué tout mon lectorat un-médical (et le dictionnaire de Word aussi). Bon allez, vous vous coucherez moins bêtes ce soir, l’ulna, c’est le cubitus. Ça sert à çà, les 10 ans d’études en vrai.

Je me disperse, excusez-moi.

Fin de la consultation du fils, la mère repart à la bataille. Elle veut qu’on lui explique son diabète. Le médecin fait une phrase avec pancréas, sucre, glycémie, insuline, malade, compliqué, compliqué, compliqué. Le fils croit comprendre, et donne avec les même mots une version disons… édulcorée. Très très un-médical, voire complètement fausse. Qu’elle ne comprend pas non plus. Le médecin est un peu lassé je crois, donc approuve le fils et ignore l’incompréhension plus que lisible dans les yeux de Mme C.

Et là, c’est le drame.

Oui ce billet manquait un peu de suspense.

Voilà-t’y pas que ma fibre empathique se réveille. Cette dame ne comprend pas sa maladie, ni le pourquoi de ses douloureuses prises de sang, ni les risques, ni pourquoi sa vie n’est pas si douce que cela. Je trouve ça quand même un peu dur, comme d’être prisonnier d’une cage sans barreau.

Et si on est lucide, on ne peut pas lui expliquer, parce que la salle d’attente est pleine, que la fatigue est là, que son Q.I. ne vole pas bien haut, qu’elle n’incite pas beaucoup à la patience ou bienveillance. Parce qu’on est humains, voilà tout. Que la gentillesse ça va bien mais c’est pas possible tout le temps ma bonne dame.

Alors le médecin lui a dit au revoir, bonne journée. Et moi, avec ma fibre empathique qui clignotait à qui mieux-mieux, j’ai eu le sentiment d’un abandon. C’est vrai quoi, s’il se fut agi d’une petite dame charmante prête à  refiler sa confiture maison, je ne suis pas sûre qu’il ne lui aurait pas expliqué un peu plus. En tout cas, il l’aurait rassurée, avec sa voix de gentil médecin.

Du coup, Mme C., je l’ai aussi saluée d’un au revoir, bonne journée. Mais j’ai rajouté : « et que Dieu vous bénisse ! » , juste à l’intérieur de ma tête, ou plutôt juste à l’intérieur de mon cœur cette fois-ci. Mais comme y’a une oreille qui écoute à cet endroit, ce ne fut point en vain. J’espère, je crois, je sais.

Quand même, heureusement que je suis catholique.

Ces 3 patients qui ont changé ma vie

13 Nov

Dans 15 jours, je vais expérimenter une fois de plus le coté obscur de la vie étudiante : les partiels. Je suis donc en (ré)vision, et prévois beaucoup de choses à faire pour dans 16 jours (très exactement). Mais d’ici là, j’ai besoin parfois de repenser à d’anciens patients pour me motiver à apprendre mes cours…disons… de cardio (au pif). Et comme je suis une fille très pragmatique, je vais faire de ces repensées un billet, histoire de valider la case blog sur mon programme.

3 patients, ceux que je ne veux pas oublier.

-Mme Ch’ti.

1er stage, après le P1, avec les infirmières. Mme Ch’ti est une vieille dame, drôle et sympa.  Mais elle vient d’un milieu social défavorisé et ne comprend pas le concept de la toilette QUOTIDIENNE, l’odeur de ses vêtements s’en ressent, c’est une véritable ode au maroilles. Pour entrer dans sa chambre, il faut donc se préparer à rigoler sans inspirer, exercice difficile si l’en est. Mais j’aime bien y aller, j’ai bossé comme une tarée pour y arriver, tout me parait merveilleux. Et puis, au bout d’une semaine, j’assiste à la visite des médecins. Oups, pardon, des chiiiirurgiens. Exceptionnellement, le chef est présent, jour de grâce.

Il entre dans la chambre (sans frapper), nous entrons tous (en fin d’année scolaire/période de stage, ca donne : chef+interne+3 externes+infirmière+2élèves infirmières+moi. Beaucoup de beau monde pour une petite chambre). Grand sourire bienveillant pour Mme Ch’ti. Regardez tous, c’est moi qui l’ai opéré, c’est mon œuvre. L’interne tire la gueule, personne ne se demande pourquoi.

Et alors, madame, ca va bien depuis l’opération ?

Mme Ch’ti répond, il n’écoute pas du tout, il commente le dossier aux externes.  Tant pis pour lui, seconde question, elle lui rétorque en ch’ti. Il insiste, elle persiste. En vrai ch’ti incompréhensible, comme une vraie langue, quoi. Et c’est là que ca devient croustillant, avec le recul je ne sais même pas comment ça a pu arriver : il a du demander aux infirmières si la patiente parlait français. Une semaine plus tôt, le mec lui a déboité la hanche, scié l’os et foutu une prothèse a la place.  Et il a besoin de demander pour être sur (j’en arrive à avoir des doutes sur mes souvenirs, tellement ça me parait énorme). En tout cas, cette chère madame Ch’ti n’a plus parlé français qu’avec l’infirmière. Le chef s’est donc vu obligé de passer par elle. Comique de situation maximal:

le chef : Martine (c’est l’infirmière), tu peux demander à Mme Ch’ti si elle a mal?

Martine : Mme Ch’ti, avez-vous mal?

Mme Ch’ti (en parfait français, regardant le chef droit dans les yeux) : un peu. Surtout le matin.

L’un de mes fous rires intérieurs les plus difficiles à réprimer.

Et moi qui sortais du P1, auréolée de gloire, couronnée d’étoile la lune est sous tes pas, j’ai compris un truc : même après mes 15 ans de médecine, je n’aurais pas d’excuse pour traiter les gens de haut.

 

-Mr Souffrance.

Fin de la deuxième année. C’est encore un stage infirmier, en soins intensifs cardio cette fois-ci. Mr Souffrance a mal, vous ne vous y attendiez pas, hein. Il  est allongé sur son lit toute la journée, il est intubé, il ne peut pas parler. Tous les jours, nous lui faisons la toilette, nous vérifions la poche d’urine, nous triturons gentiment ses tuyaux. Pour ça, on abaisse les barrières de son lit, puis on les remonte. Basique, classique. A la fin d’un soin, je remonte les barrières, ca coince, je force. Mr Souffrance fait une tête bizarre, tu m’étonnes : je suis en train de lui écrabouiller la cheville. Je ne peux que bredouiller que je suis désolée, je suis à ça (et encore) de pleurer, surtout que l’infirmière m’engueule, et elle a bien raison. Je suis sous le choc : mon incompétence a nuit à mon patient.

Aujourd’hui, lorsque l’appel de la paresse se fait entendre, j’essaye de penser à Mr Souffrance. Et à tous ceux à qui je risque de faire du mal si je ne maitrise pas mon métier. Ca ne marche pas toujours, mais ça aide.

 

-Mr Fumeur.

Fin de la troisième année, on progresse, d’autant plus que je suis avec les médecins maintenant. Service de pneumo, des cancers partout, des décès chaque semaine, et heureusement un interne génial. Qui se fout de ma gueule lorsque je vais à la chapelle de l’hosto après le déjeuner, mais gentiment. Et puis du coup on avait un peu discuté, c’était chouette.

Mais bref, le sujet, c’est Mr Fumeur. Qui a un cancer grave, alcool et tabac ne se payent pas qu’à la caisse du magasin hélas. Il est normalement traité par chimio en ambulatoire, mais pour le moment, il fait une infection pulmonaire aigue, sous antibiotiques etc. Mais ca va mieux, sauf qu’il mange que dalle. Je passe 70% de mon temps à bosser pour lui : examens, interprétations, avis diabéto (il les cumulait faut dire), avis onco-hémato, avis gastro. Nous allons peut être lui percer le ventre pour y mettre un tuyau et l’alimenter, ca va l’aider. Il va aller mieux.

Quand je reviens le lendemain, Mr Fumeur est mort.

Mr Fumeur, c’est le seul patient pour lequel je me suis vraiment révoltée. Bordel, il allait aller mieux ! On lui aurait foutu son tuyau, et il aurait guéri. Mais j’oubliais son cancer.

Mr Fumeur, c’est le patient qui me hante. C’est le premier, le seul patient qui a été difficile de donner à Dieu. Cela fait 10 minutes que je cherche son vrai nom, je l’ai sur le bout de la langue, je ne peux pas croire que je l’ai oublié. Mais peut être que c’est comme ça que ça doit se passer ?

 

Voila, trois patients, trois personnes, trois expériences. Trois leçons personnelles.

Je n’arrivais pas à écrire au passé, je ne sais pas si cela signifie quelque chose, jm’en fous un peu à la limite. D’y avoir pensé, d’en avoir parlé, me donne envie de retourner en stage : dans les livres, j’apprends à traiter les maladies. Il faut aller à l’hosto pour apprendre à soigner un malade.  Avoir un patient en face de soi pour apprendre à être un médecin.