S’il suffisait qu’on s’aime

28 Juin

Lorsque je n’étais qu’une jeune et insouciante externe, le monde était beau, il suffisait d’aimer.

Depuis, les stages se sont enchainés, chacun apportant son lot de souffrance observée et de morts constatés. Être externe, c’est découvrir à 22ans qu’un vieux peut être abandonné aux urgences début juillet, donc hospitalisé ; c’est comprendre après trois semaines que la famille a vendu la maison. Fallait payer les vacances, comprenez. Et ce n’est pas un fait divers lu dans le journal, c’est une personne en face de nous, ça pleure, c’est dément, ça comprend pas. Ça souffre. 

***

Lors d’un stage en médecine générale, j’ai découvert le concept d’EHPAD, Établissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes.  Les maisons de retraites, quoi. Mon praticien intervenait dans les trois structures de sa ville : différents prix, différents niveaux.

*L’EHPAD « bridge ». Institution privée.  Grande classe. On se croirait un peu dans un club house : parquet, peintures, moquettes, grandes chambres. L’équipe soignante est nombreuse, les familles présentes. La salle à manger est un « restaurant », avec de grandes baies vitrées donnant sur un parc. Limite, on y voit des écureuils et des faons gambader gaiement sur la pelouse.

*L’EHPAD « couture ». Établissement public de niveau respectable. Les couloirs sont plus étroits, la peinture est moins pimpante, la nourriture moins attrayante. Les aides-soignantes sont nettement moins nombreuses, il n’y a qu’une infirmière. La salle à manger est un « self », et les verres à pied sont remplacés par des ex-pots de Nutella – vous voyez de quoi je veux parler.

*L’EHPAD « tu l’as cru ». Tu l’as cru qu’une activité serait proposée. La durée de survie moyenne de l’unique infirmière en poste est de 6 mois avant de démissionner, le reste de l’équipe soignante n’est pratiquement composée que de stagiaires. La salle à manger est une « cantine », les tables sont en mauvais formica. On pourrait sans doute y croiser un fauteuil roulant abandonné, dernier signe d’une personne récemment décédée.

Pour un peu, je déciderai de me mettre au bridge, faut bien penser à son avenir ma bonne dame. 

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Mais comme globalement (ne nous engageons pas), je suis une fille sincère, je vais vous avouer un truc : quel que soit le niveau, ça pue une EHPAD. On parle quand même d’une baraque où il n’y a que des vieux.

Oh, certains sont très biens, très bonne tenue, bien habillés, élégants. Félicitations du Conseil de classe. Mais d’autres sont de mauvais élèves : ils bavent, ils ne se tiennent pas droit, ils louchent, ils ne parlent plus, ils se grattent, ils sont mal fagotés.

Et des blouses blanches les placent autour d’une table basse, dans un simulacre de vie sociale. Et ils passent l’après-midi, qui dans son fauteuil roulant, qui couvant des yeux son déambulateur, qui surveillant sa canne (on sait jamais), les uns à côté des autres, attendant endormis que le temps passe.

***

Je suis catholique, j’aime la faiblesse, la pauvreté, et chaque prochain m’est une merveille, mais n’empêche. Vous avouerez que c’est glauque, à vision humaine.

Et puis… Et puis… Et puis arrivent les visites. Et tout d’un coup, ces vieux corps décharnés s’animent, des regards s’échangent, des baisers tout piquants se donnent. L’amour trace sa route.

Avant de s’engager politiquement pour le respect des plus faibles, vivons-le. Allons voir nos vieux dans leurs maisons de retraite, appelons-les, tweetons-leur (parait que du coup ils ne seront plus vieux).

Parce que le monde est beau, parce qu’il suffit d’aimer.

 

 

Edit: ma description des différentes EHPAD est glauque, je sais bien. C’est le premier regard que j’ai eu lorsque je suis rentrée à l’intérieur, lorsque cette ambiance si particulière m’a choquée. Et c’est justement le propos de mon billet: il faut dépasser cette vision des choses, qui n’est qu’extérieure. La vérité est autre: ces personnes âgées sont des trésors, si on prend le temps de vraiment les rencontrer, de les écouter. Pour conclure, je reprends une phrase très juste du comm’ de Babeth: « ce n’est pas la vieillesse qui est un naufrage, c’est la façon dont elle est traitée ».

11 Réponses to “S’il suffisait qu’on s’aime”

  1. Rémi Chagarou 28 juin 2013 à 9 h 00 min #

    Moi qui suis une petite gens, je ne peux pas mettre mon ancien en maison de retraite.
    D’ailleurs, cela ne me vient même pas à l’idée.
    Et, ma foi, mon ancien vit avec moi, je la soigne, m’en occupe, peu importe.
    Je n’ai pas de boulot en ce moment, et il m’est inconcevable de la laisser dériver dans ces maisons de je sais pas quoi.
    J’en vois l’exemple dans différents services services du CHR. Des petits vieux qui doivent se retenir en criant les aides-soignantes pendant des heures pour le bassin, un passage prévu pour les changes et soins à 14h qui à 16h ne sont toujours pas fait.
    Récement, une jeune patiente, qui travaillait dans ce même service avant, et qui a refait un AVC et qui s’est rendu compte qu’elle commençait à être paralysée et qui s’est levée elle-même pour aller attraper une interne … Combien d’heure aurait-elle attendue pour la visite de cet externe?
    Tout ça à cause d’un manque d’effectif, un réel sous-effectif, et à noter un manque d’expérience total, normal c’est un CHR, y a que des étudiants qui ne savent pas grand-chose.
    Ne pas remettre en cause le sérieux ni le respect pour le patient toutefois, mais à voir ça tous les jours, non, mon ancien reste avec moi, chez moi,

  2. Marc 28 juin 2013 à 10 h 13 min #

    Salut Dopamine, cette fois-ci, je crois qu’une réponse plus longue s’impose. Pour le partage et une grille de lecture différente : Celle d’un AMP. Pour les néophytes un AMP c’est un Aide Médico-Psychologique, en EHPAD nous faisons fonction d’Aide Soignants la plupart du temps. Et c’est bien dommage car un AMP c’est d’abord un travailleur social de proximité à la frontière entre le social (éducatif) et le soin. Il est regrettable que les AMP n’aient pas toujours de fiches de poste correspondante à leur référentiel… Ce qui nous différencie nettement des AS : Un cursus général de psychologie de la naissance jusqu’à la mort asses poussé tout de même pour un diplôme de niveau 5 et un repérage des besoins fondamentaux autres que physiologiques. Bon, voila un peu le contexte de notre intervention.

    On va commencer par la fin parce que quand même il faut le dire et le dire encore : Les personnes âgées sont des personnes dont la compagnie est agréable et elles pourraient bouleverser bien des appréhendions. Donc, ouais « Allons voir nos vieux dans leurs maisons de retraite, appelons-les » réanimons les !

    Alors le prix et l’apparence d’un EHPAD, ça ne veut rien dire. Pour le resto, les personnes préfèreront des repas qui correspondent à leur perte de goût, des texture plus faciles à mâcher, des verres qui seront adaptés et qu’elles pourront prendre sans trop trembler, les faire tomber et se voir « ne plus être capable de faire comme avant », se sentir « amoindri » comme si ce n’était pas déjà évident pour elles.

    Les jardins, c’est bien quant il est encore possible d’y aller et quand ça ne l’est plus il faut du personnel pour accompagner. Sur la cote d’Azur on a ce genre d’établissement mais pas asses de soignants. Le parquet peut être glissant, la moquette peut les faire tomber etc. Ce sont des détails auxquels nous veillons au quotidien et j’ose la remarque : Souvent ces EHPAD (à but lucratif) sont plus là pour jeter de la poudre aux yeux comme si on pouvait encore mener la même vie qu’avant alors que ce n’est pas le cas.
    Un bon EHPAD, ce sont des cuisiniers avec une cuisine adapté selon les capacités et les gouts de chaque personne. Suffisamment de personnel soignant et des AMP/Animateurs (trice) qui ont leurs place le versant social de la profession.
    Autre chose : Il faut vraiment se décentrer pour se mettre à la place d’une personne âgée physiquement, psychiquement et moralement. Et ça, c’est loin d’être facile. Ce qui va de soi pour nous est moins évident pour elles.

    +++ Pour Alma Adilon-Léonardoni (la vidéo) et sa plaidoirie

  3. Effeil53 28 juin 2013 à 10 h 25 min #

    Il y a 34 ans, quand j’ai commence à travailler comme infirmière, j’ai passé 4 ans dans un hospice, (meme chose qu’EHPAD, mais il y a 34 ans, on parlait français, pas la langue des sigles) lequel hopice tout le monde dans la ville appelait « le mouroir », avec un joli porche d’entrée classé Moniment historique, avec un petit portillon-tourniquet qui était un berceau où il y a encore plus longtemps les mères désespérées déposaient leur nourrisson, et de l’autre côté une religieuse recupérait le colis. Le dernier bébé y a été dépose dans les années 50. Depuis, la ville a enlevé ce témoignage des mauvais jours passés…Honte sur elle!
    En fait, tout était monument historique, dans cet hospice, avec encore des salles communes….autant dire que j’ai côtoyé pas mal de « personnes âgées dépendantes »…

    Alors pour cet article, Merci

  4. @laurencehenry0 28 juin 2013 à 10 h 41 min #

    Bonjour,

    Je découvre votre blog avec un grand plaisir après vous avoir suivi sur Twitter.
    Votre billet me plait bien dans sa caricature (souvenirs, souvenirs)… Je suis IADE convertie à la formation pour le moment mais j’ai passé quelques temps dans ces délicieux endroits, surtout comme stagiaire. Mais je rejoins dans son commentaire Marc et j’en profite pour défendre ma sœur qui est coordinatrice en EHPAD. Ca ne sent pas bon, c’est repoussant, souvent,… pas côté « bridge » (quoi que par certains côtés…). Il n’y a pas que les visites qui redonne le sourire à ces pensionnaires, qui, si ont prend le temps de s’asseoir avec eux (seules les stagiaires ou presque ont ce temps là malheureusement…), ont des vies entières à nous raconter et qui n’ont rien à envier aux nôtres. Les soignants qu’ils apprécient, les « p’tites » stagiaires qui prennent le temps leur donnent aussi l’envie de sourire. Quand on fait une toilette, quand on change une couche on a le temps de discuter, de partager. Ca décentre aussi. Si les IDE ne restent pas longtemps c’est souvent parce que le travail est épuisant physiquement. Mais les retours des étudiants IDE de ces stages sont pour une grande part très surprenants. Comment en effet est-il possible qu’un jeune adulte de 20-22 ans ait pu trouver du plaisir dans ce stage ? Ils ont soif de relations vraies (même si souvent notre ami Alzheimer vient fausser les choses), authentiques, en direct. Ils sont heureux de se sentir utiles, vraiment utiles même si aucun résultats dans le sens compétitif du terme n’est attendu, ni espéré.
    Au plaisir de vous lire à nouveau !

  5. Babeth 28 juin 2013 à 17 h 22 min #

    Bon, forcément, un billet sur les vieux, ça me parle. Alors je veux pas te faire peur mais… Y a pire. Foyers-logements, logements partagés… ça fait joli sur le papier, on se dit que les bénéficiaires y sont un peu mieux lotis… grave erreur!
    Ce n’est pas la vieillesse qui est un naufrage, c’est la façon dont elle est traitée 😦

  6. do (@do_marie) 28 juin 2013 à 23 h 04 min #

    pour moi, une personne âgée ne peut être heureuse qu’entourée de sa famille.
    il faudrait tout faire pour permettre aux enfants de garder leurs parents à domicile.
    une alloc pour la chambre supplémentaire ou pour un studio pas loin,
    serait en outre sûrement moins cher dans beaucoup de cas.
    et permettrait de garder des moyens pour les autres.
    et tant pis si on n’a pas tel ou tel soin et si on meurt plus vite.
    à quoi bon vivre deux ans de plus si c’est pour perdre tous ses proches.
    ensuite il y a cette course à la richesse, au profit, qui doit être limitée.
    reste à savoir comment.
    et par qui.

  7. Steph 71 29 juin 2013 à 11 h 05 min #

    Vous connaissez le secret de la gériatrie, Dopamine?…
    Je vous le donne, il est contenu en entier dans une seule phrase:
    « Les personnes âgées se comportent comme elles sont regardées »
    Et je vous laisse le soin maintenant de relire maintenant votre billet…
    Bien cordialement

  8. Michèu 3 juillet 2013 à 14 h 57 min #

    Bonjour Dopamine,
    Il faut garder à l’esprit que, compte tenu des tables de mortalité, dans notre pays, ce sont nos enfants qui choisissent ou choisiront nos EHPAD ou nos maisons de retraite ou nos mouroirs et tout ça alors que nos facultés mentales s’émousseront sous le poids des années. A nous de leur donner le goût du respect pour ces vieux corps.
    Nous n’avons plus la courtoisie de partir dans la force de l’age comme il y a encore un siècle, avec les guerres, les maladies et autres épidémies. On vieilli mais de plus en plus souvent sans en avoir les moyens…
    Oui c’est peut être pas aussi reluisant que prévu !

  9. Eliette 6 juillet 2013 à 11 h 54 min #

    Je sais pas… Ma mère a été directrice d’une EHPAD lambda pendant quelques années à Cherbourg et je regrette en te lisant de ne pas lui en avoir demandé plus parce que du coup j’en ai une vision un peu vu de loin. J’ai surtout souvenir des tableaux Excel à répétition pour organiser les astreintes. De ce malaise de réaliser que toutes les personnes sur liste d’attente (et y en a), attendent juste qu’une chambre soit libre… mais aussi de la joie de toute l’EHPAD de fêter les 107 ans de la doyenne. D’un dîner sur le thème « rose », d’animatrices qui viennent souvent et même parfois bénévolement… Sûrement que le plus beau qu’on puisse souhaiter à une personne âgée est d’être accompagnée au maximum par sa famille et ses proches et ton appel à visiter sans cesse est super juste et le mieux qu’il y ait à faire.

    Je crois qu’il y a aussi beaucoup de choses chouettes qui se passent dans ces EHPAD.
    A noter également que oui, il y a tellement de demandes qu’on prend en priorité des personnes qui nécessitent beaucoup de soins. Ce qui ne contribue pas forcément à donner l’impression d’un lieu qui respire la joie de vivre! Je crois qu’on est toujours un peu impressionnés aussi de voir si je peux dire tant de personnes âgées au même endroit, comme si on avait l’impression qu’on les regroupait tous là… Et puis rien que temporellement on est complètement en décalage dans les maisons de retraite!

    En parallèle, la ville organisait des forums, etc… pour renseigner les familles sur tous les services à domicile et comment pouvoir accompagner une personne âgée le plus longtemps possible chez elle. (cf commentaire de @Do)

    Mais voila, il y a aussi ceux que personne n’entoure. Il y a ceux qui n’ont pas de famille. Et tant d’autres.

    Je ne pense pas que le but des EHPAD soit de garder les gens en vie le plus longtemps possible mais de leur assurer un accompagnement. Par un personnel souvent débordé c’est vrai…

    Reste alors à le rendre sans cesse plus humain, plus juste. Peut-être que ma vision du truc est un peu naïve.

  10. Agnès 8 juillet 2013 à 17 h 55 min #

    Nous avons profité du 8 mai et de l’Ascension, et du pont qui s’ensuit, pour rendre visite à la grand-mère de mon mari, à Milan. Et nous sommes allés rendre visite à son grand-père dans son institut pour personnes dépendantes (il avait un Alzheimer déjà très avancé), avec la grand-mère qui venait tous les jours. Nous sommes arrivés tous les trois, mon mari, moi, et notre fils de 2 ans et demi. Avec son sourire, et son envie de courir partout. Dans la cour, il y avait un bassin avec des poissons. Il a passé une heure et demie à y jeter des feuilles, à en approcher des chaises… il mettait de l’animation. On avait un peu peur de déranger, il prenait les chaises vides à l’ombre pour les mettre au soleil, on les ramenait à leur place en douce… Le lendemain quand nous sommes arrivés, à la même heure, avec le même temps, la cour était bien plus peuplée que la veille : le bruit avait couru qu’un petit souriant allait venir courir là. Il a suffi de pas grand-chose, ces deux jours-là, pour rendre des vieux heureux. Et nous qui ne savions pas quoi dire en arrivant la veille, avec la peur que le petit dérange, on était content aussi d’avoir amené là ce bout de chou !

  11. Monier 18 juillet 2013 à 19 h 30 min #

    Dans les ehpad, il y a aussi des personnes qui prennent le temps de rencontrer les personnes âgées, qui les écoutent, s’assoient auprès de celles qui sont isolées parce qu’alitées, qui restent en silence auprès des plus grabataires…qui partagent ces instants de vie et les déposent dans la prière…
    Connaissez-vous les visiteurs d’aumônerie ?

Faites comme chez vous!